Un peintre au temps des rois : Œuvres inédites de Jean Ranc, portraitiste de cour lors du Grand siècle. Cet artiste, qui fut par la suite injustement oublié, naquit à Montpellier en 1674. Il mourut en Espagne en 1735, à lm’apogée d’une carrière exceptionnelle.

Peindre l’aristocratie du monde

1715,Une vendangeuse, portrait présumé de Marguerite Elisabeth Rigaud,© Photographie Nationalmuseum.
1710-1722 Vertumne et Pomone ©Musée Fabre de Montpellier photographie Frédéric Jaulmes

Le triomphe artistique des monarques

Son père était déjà un peintre notablement reconnu, bénéficiant des commandes des institutions de l’époque et de riches particuliers : Il avait formé durant quelques temps Hyacinthe Rigaud qui était une des gloires artistiques de la Cour de France. Il était resté en relation avec lui, et en toute logique, il lui envoya son fils, à Paris. Jean, aidé par son mentor, connut vite de grands succès. Il est reçu en 1703 à l’Académie royale de peinture, il expose au Salon de 1704. Son style est parfaitement adapté aux goûts de l’époque : Beauté et luxe, tissus magnifiquement représentés, brillance de leurs moirures, charme des couleurs. Il exécute le portrait de grands seigneurs tels que Joseph Bonnier de la Mosson. Il peindra aussi le jeune Louis XV et le régent Philippe d’Orléans. C’était une époque où les monarques avaient le pouvoir, la bourgeoisie la fortune, tandis que la noblesse veillait à l’ordre militaire des choses. Les Bourbons étaient à l’apogée de leur système monarchique. Philippe V d’Espagne était petit-fils de Louis XIV. Les Cours de Versailles et de Madrid représentaient les deux faces d’une même philosophie politique, d’un art similaire, d’une même tenue réglée par l’étiquette de Cour qui avait un sens : mener la société tel un rouage parfait où la réalisation de soi se faisait en osmose avec l’ordre établi voulu par Dieu. C’était jugé comme la seule façon de pouvoir faire le bien et ne pas céder aux forces du mal. Les monarques préservaient attentivement cet équilibre des choses, reposant sur la grâce divine, sur la grâce des différents arts, sur des vérités qui ne devaient subir aucun changement essentiel. On en arrivait ainsi à codifier, classer, analyser par le prisme du raisonnement à condition que celui-ci respecte les codes.
En matière de peinture, on valorisait en premier l’art religieux et historique, l’art du portrait venait ensuite. Il avait toujours une signification sociale et politique déterminée. Le challenge de l’artiste était de mener cette représentation avec finesse, réalisme, et idéalisme. Parce que l’on vivait heureux et confiant dans l’avenir.

Peindre l’aristocratie du monde

Portrait de Louis XV, Roi de France© Musée Fabre de Montpellier, photographie Frédéric Jaulmes

Ranc a été très influencé par Rigaud, lui-même très influencé par Van Dyck, le peintre de la beauté, de la figure valorisée au mieux de sa noblesse. Van Dyck, Rigaud et Ranc ont mis en valeur une finesse
transcendantale, dans les paysages et dans les êtres. C’est là où se trouve l’humanité la plus forte chez les gens : dans ce qu’ils ont de plus sensible, tenu en réserve par toute une éducation de bon aloi.
C’est peut-être pour cela que Ranc a été un des portraitistes les plus appréciés de son époque. Il était excellent dans ce don de l’observation lié à la générosité : ses tableaux sont lumineux. Il révèle ce qu’il y a de plus beau dans ses modèles, de plus noble en leur caractère. Peu de peintres ont réussi cette gageure du classicisme : l’unité fondamentale
de l’individu en osmose dans son environnement. Il ne peint pas avec des oppositions, mais par fusion dans un ordre naturel.

Ce qui caractérise cette période du Grand Siècle, c’est la modernisation de la société tandis que les vaisseaux européens parcouraient les mers
du monde. Mais on restait dans une école aristocratique de la pensée qui se retranscrivait dans l’art. Tout était dans l’allure et une philosophie de la vie que n’auraient pas renié les Stoïciens de
l’Empire romain. L’art n’était plus sacré comme au Moyen-âge, il n’était plus tourné vers le secret et la réalisation de l’homme comme à la Renaissance, il était à celui d’un équilibre du monde dans ses différents mondes. Dieu est présent, car tout le monde croit en Dieu. Mais c’est à l’être humain de faire son parcours en ayant déjà ses propres références. Jean Ranc va montrer avec brio cette personnalisation du sujet et la grâce de sa posture.

1687,Saint Pierre et Saint Jean guérissant le paralytique à l’entrée du Temple de Jérusalem © Musée Fabre de Montpellier photographie Frédéric Jaulmes

Il va saisir ce qu’il y a de plus juste dans cette caste dirigeante, noble ou bourgeoise, qui applique une telle philosophie roborative de la vie. Elle sait ou elle va, elle raisonne, elle est mobile, elle est respectueuse des traditions parce qu’elle sait aussi d’où elle vient : du monde du pouvoir et de la richesse qui reconnaît le pouvoir supérieur et
surnaturel de ses rois. C’est toute la théorie du droit naturel qui se précise, et qui fera flores quelques décennies plus tard, en France avec le docteur Quesnay et son tableau économique. Les valeurs exprimées sont terriennes, ordonnancées, fortes, elles sont à l’image de ce que l’on suppose du monde divin. Mais elles sont terriblement réalistes. Jusqu’au moindre détail, on cherche la vérité, on cerne la précision, on observe et l’on avance ainsi sur un chemin qui est déjà celui des Lumières.
Le parcours de l’exposition
Il se fait en huit parties. En premier, la genèse du peintre à Montpellier, avec ses réseaux d’influence. En deuxième, une affaire de famille : Jean Ranc épousera la nièce d’Hyacinthe Rigaud qui est en train de donner un souffle nouveau à l’art du portrait. En troisième , les premières commandes de la haute bourgeoisie parisienne. En quatrième, les liens ténus entre le peintre devenu parisien et la classe dirigeante du Languedoc, avec le portrait de François Joseph Bonnier de la Mosson et celui de son épouse, Anne Melon. Un focus est mené autour du portrait d’un intellectuel curieux de tout, à la mode du
18 e siècle, François Xavier Bon de Saint Hilaire, avec ses collections de sculptures égyptiennes et romaines qui préfigurent le Siècle des Lumières. En cinquième, la réception de Ranc à l’Académie avec des peintures religieuses et d’histoire.

1702Portrait de Joseph, futur baron de la Mosson Musée Fabre de Montpellier photographie Frédéric Jaulmes

En sixième, les illustrations qu’il a gravées en 1719 pour Les Fables Nouvelles écrites par Antoine Houdart, un familier du régent. Ensuite, la partie Les Portraits et les jardins souligne le goût de l’artiste pour la figure dans le paysage, avec le vent qui agite les frondaisons des arbres, comme une douceur de vivre débouchant sur un érotisme discret. Le tableau de Vertumne et Pomone en est le plus parfait exemple. Pomone est une nymphe qui met du temps à céder Vertumne. Celui-ci, pour la séduire, sera obligé de se grimer en vieille femme. La fin de l’exposition nous montre la réussite totale de Jean Ranc. Il peint le Régent, le jeune Louis XV, les princes et dignitaires portuguais, il est devenu le portraitiste attitré de la Cour d’Espagne. Ses tableaux de la famille royale montrent la maîtrise absolue de son art. Ils sont aujourd’hui conservés au Prado. L’exposition bénéficie de prêts du Patrimonio Nacional, des musées du Prado, du National Museum de Stockholm, de Versailles et de Trianon, et de nombreux collectionneurs privés. Elle est l’occasion d’éditer le premier ouvrage consacré à Jean Ranc.

La Revue de l’histoire N°91 Hiver 2020

REPÈRES

Musée Fabre de Montpellier 13 rue Montpellier 34 000 MONTPELLIER