VOICI 77 ANS, DÉJÀ, PARIS HUMILIÉ, PARIS OUTRAGÉ, DEVENAIT LE PARIS ENFIN LIBÉRÉ. LIBÉRÉ DES ALLEMANDS, BIEN SÛR. MAIS AUSSI DE LUI-MÊME. DE SON HISTOIRE RÉCENTE, CELLE D’UNE DÉROUTE IMPLACABLE.
LA VILLE DES LUMIÈRES ET DU COUVRE-FEU
Napoléon avait beau avoir été vaincu à deux reprises et Paris occupé par sa faute, les arts français continuaient à briller jusque dans les châteaux de Moscou et de Crimée. En 1918, notre armée victorieuse était considérée comme la première du monde. Patatras… En six semaines du beau printemps 1940, les Allemands arrivaient à percer l’invincible ligne Maginot et l’infranchissable forêt des Ardennes, et ils gagnaient la Campagne de France.
Que restait-il de Paris ? Une ville de tickets de rationnement, de couvre-feu, de traques, d’interdictions, où un général allemand faisait la pluie et le beau temps en s’appuyant sur un redoutable service économique plumant notre pays qui mit au moins quinze ans à s’en remettre.
La chambre du Front Populaire, dans son immense majorité, avait voté les pleins pouvoirs à un vieux maréchal qui avait, selon l’écrivain fasciste Rebatet, deux heures de lucidité par jour. La Résistance sera au départ une affaire de nationalistes anti-allemands, en rupture avec la pensée maurassienne qui avait adhéré au pétainisme.
Puis Goering et Hitler allaient attaquer la Russie de Staline qui ne pensait pas lui-même que ses alliés allemands seraient assez fous pour le faire. Mais ceux-ci étaient fous. Dès lors, le Parti communiste clandestin, lié au Komintern, entra dans la Résistance. Et ce fut l’engrenage de la terreur, des tortures sans nom, des déportations, des assassinats, des attentats. Paris, dès 1942, était devenue une ville qui vivait dans la contrainte de la terreur grandissante. Cela dépassait largement dans l’horreur le statut habituel d’une ville occupée par un ennemi.
PARIS VALAIT-ELLE UNE MESSE SANGLANTE ?
Fallait-il que Paris s’insurge parce que Hitler avait ordonné à son général commandant la place de transformer la ville en Stalingrad ou en Varsovie ? L’insurrection parisienne, voulue par le Parti Communiste, en particulier, risquait de se terminer comme l’insurrection de Varsovie, en bain de sang. Si la Résistance parisienne était massacrée, tous les puissants réseaux de résistance communiste dans le reste de la France auraient eu un rôle politique à jouer des plus importants face à une armée américaine qui n’était pas encore avec les Soviétiques dans une logique de Guerre froide. Tout le débat stratégique était là. Les Résistants voulaient en découdre à Paris, quelles que soient leurs tendances politiques. Mais les Américains ne souhaitaient pas perdre de temps et voulaient foncer sur l’Allemagne pour l’empêcher de lancer ses nouvelles armes presque terminées dans la bataille, en particulier ses bombes atomiques et ses avions supersoniques. Le général de Gaulle, conscient de la situation et des différents enjeux stratégiques, eut le comportement d’un grand politique : il tempêta, il demanda l’autorisation d’envoyer sur Paris une division, française et blindée, bien entendu, et il finit par l’obtenir des autorités américaines. Et la 2e DB put foncer sur la banlieue de Paris, pour soutenir les Français qui construisaient des barricades comme en 1848 ou en 1968, et étaient en train de se faire décimer.
GUÉRILLA URBAINE, CHARS ET NÉGOCIATIONS
Une chance, le général allemand von Choltitz était intelligent et tempéré. Il avait de l’estime pour le consul de Suède Nordling, et il fit une reddition en des conditions relativement honorables. Il savait que son attitude pouvait faire envoyer sa famille en camps, mais il décida tout de même de se rendre à l’armée régulière française. De Gaulle, furieux, reprocha vivement au général Leclerc d’avoir laissé signer sur l’acte de reddition le très courageux chef communiste Rol Tanguy. De Gaulle, lui, prévoyait déjà la Guerre froide.
Les combats furent très durs. D’après un témoignage, une femme milicienne tira sur les premiers chars à coups de carabine à la hauteur de l’église d’Alésia. Elle fut obligée de se rendre, et un coup de crosse de carabine lui creva un oeil et lui fit éclater la moitié du visage. Un peu plus loin, sur les boulevards, deux enfants de quatorze ans voulurent voir les combats. Et ils tombèrent sur une colonne de blindés allemands en stationnement. Ils furent arrêtés. On les soupçonnait d’être de faux innocents et d’espionner les positions allemandes. Ils furent menés devant un colonel de la Wehrmacht, qui les dévisagea avec colère. Il hésita à les faire fusiller, et, au final, leur donna à chacun une colossale gifle en leur disant de rentrer chez leurs parents*
Il y aura les règlements de comptes entre Français. Les femmes supposées collabos tondues, dénudées, parfois violées, certaines en devinrent folles, comme une célèbre actrice de l’époque, fille d’un collaborateur… Et puis il y eut les combattants… Des anciens de la Grande Guerre, des fils d’anciens Poilus, des gendarmes et des policiers, de simples civils… Beaucoup ne connurent jamais les joies de la prospérité retrouvée et de la réconciliation franco-allemande parce qu’ils se firent tuer.
De tout cela, il reste des témoignages, bien sûr, quelque films, et surtout de superbes photographies prises par des artistes, les sens encore plus avivés par l’émotionnel présent dans toutes les situations de batailles. C’est tout un peuple qui se révèle. Qui se réveille. C’est toute une contrainte qui disparaît. Il allait désormais être interdit d’interdire… On redevenait libre. Toute l’angoisse du monde se trouve dans les regards de ces photos. C’est poignant et superbe. Un peuple qui se reconstitue, un occupant qui part, une guerre qui s’en va au loin, et toute cette tristesse toujours présente… Un soldat de la 2e DB téléphona d’un bistrot de banlieue à ses parents qui habitaient la capitale. Il ne les avait pas vus depuis des années parce qu’il était parti à Londres pour se battre. Quelques instants plus tard, il recevait une balle en pleine tête, en haut de son char…
La Revue de l’Histoire N° 72 Été 2014