À Pontoise, avec un peu de retard dû à l’effet COVID, l’ancien Musée Pissarro fête son quarantième anniversaire. Une exposition raconte son histoire et sa montée en puissance qui l’a fait s’imposer sur la scène internationale depuis sa création en 1980. Il se dénomme désormais le MAHPP, Musée d’Art et d’Histoire Pissarro Pontoise. Mais son A.D.N. fondamental reste toujours Camille Pissarro qui est un des chefs de file les plus attachants de cette école qui ne fut pas une école, mais plutôt un champ de liberté et du réalisme : l’impressionnisme.

Un souci de la vérité
En ce 19 e siècle florissant, Camille Pissarro était fils d’une famille bordelaise de confession juive, qui s’était installée dans les colonies danoises des Antilles où elle menait des affaires prospères. Après avoir expérimenté cette carrière de négociant, il choisit de se tourner définitivement vers la peinture. Il perdra par la suite le soutien financier de ses parents parce qu’il mit enceinte leur domestique bourguignonne et catholique et décida de l’épouser. Ils auront en tout huit enfants. De toute façon, il était atypique. Il ne voulait en faire qu’à sa tête. Il aurait pu comme tant d’autres chercher à se conformer au goût du public de l’époque. Il avait ce don magique de savoir représenter en quelques traits de crayons à la fois le désir, le mouvement et la grâce. Il peignait avec une poésie subtile les corps, les nus, les visages et les mains des femmes et des hommes. Mais il ressentait le besoin d’aller vers certaines analyses et vibrations. Ses impulsions créatives le poussaient à exprimer un monde purement réel. Dans L’œuvre, son remarquable roman sur les peintres, Zola appellera le mouvement impressionniste l’École du Plein Air. Pissarro et ses amis peintres s’étaient au départ fréquentés sans projet défini à l’avance, un peu par le hasard des rencontres. Ils allaient ainsi constituer un mouvement tellement vaste, avec des caractères si différents les uns des autres, qu’il est difficile de parler d’un seul courant impressionniste et uniforme. Ils ressentaient tous la puissance concrète du monde moderne, où des infrastructures nouvelles se combinaient avec de nouvelles technologies, comme la photographie, pour donner une nouvelle dimension à la création artistique. Ils allaient ainsi établir le début de la peinture moderne.

Né en 1830, et mort en 1903, Pissarro est bel et bien un enfant de ce nouveau monde frémissant du 19e siècle. Par son milieu de naissance, il avait appris à maîtriser l’analyse dynamique et complexe de la société en pleine évolution. Parmi les peintres de sa génération, il s’attachera à décrire le quotidien des gens simples, des travailleurs de base. Il saura montrer leur beauté et leur charme, leurs désirs de bien faire lorsqu’ils accomplissent leurs tâches quotidiennes. Pissarro respecte de façon innée le peuple des petites gens, il ne s’intéresse pas à la religion, celle de sa famille ou celle des autres, il situe ailleurs le débat artistique qui l’intéresse : dans l’expression de cette harmonie profonde des choses et de leurs secrets naturels, parce que justement liés à la nature. Il pourrait y voir une marque divine, il y voit
surtout une sorte de perfection immanente de chacun malgré ses défauts possibles. Ces derniers comptent d’ailleurs peu par rapport au reste, à cette humanité vue de façon globale, en dessous de ce ciel et de ce soleil magnifiques capables de teintes changeantes. Il regarde le subtil reflet de la pluie, l’arrivée du jour et de la nuit, il saisit la sensibilité discrète du monde. Dans les Salons, même s’il est connu et apprécié, ses toiles n’ont pas le grand succès qu’elles mériteraient. Son art exprime une vérité à laquelle certains ne sont pas sensibles : la perfection de toute chose dans les détails du réel reste du réel, du naturalisme à la Zola, et cela ne plait pas forcément à tout le monde.
Pissarro n’a pas ce goût académique et bourgeois, très prisé au 19 e siècle, qui sélectionne ses effets. Il nous montre l’âme et l’esprit à partir du quotidien. Il comprend l’art du monde mais sans prendre ses distances avec ce qui est commun. Il est ainsi un peintre hautement moraliste de la totalité du monde.

Un musée en action

L’exposition MAHPP : le musée révélé, se trouve installée sur les deux niveaux du parcours permanent et dans le cabinet d’arts graphiques du MAHPP. Plus de 75 œuvres picturales permettent ainsi de lever le voile sur la brillante histoire du MAHPP. Le parcours de l’exposition se fait ainsi en huit salles correspondant à huit séquences : Quarante ans ! ; Du Musée Camille Pissarro au MAHPP ; Conserver et restaurer ; Étudier et valoriser la collection ; Constituer et Enrichir la collection ; Actions culturelles et éducatives ; Et le Musée Tavet-Delacour. L’origine de la création du Musée repose sur la volonté conjointe d’une association Les Amis de Camille Pissarro et de la ville de Pontoise. L’association a pour objet l’animation scientifique du musée, l’organisation des expositions et la publication d’articles et d’ouvrages. Elle sert aussi à acquérir les œuvres du MAHPP. Ce dernier détient aussi les collections du 19e siècle d’une autre institution de Pontoise : le Musée Tavet-Delacour désormais entièrement dédié à l’art moderne et contemporain. Sont évoquées aussi les différentes missions d’un musée municipal qui bénéficie de l’appellation Musée de France. Un profond hommage est rendu à ses deux premiers directeurs, Edda Maillet puis Christophe Duvivier. Leur rôle crucial de conservateurs est expliqué avec la préservation, la restauration et la constitution des collections. La programmation exigeante d’Edda Maillet puis de Christophe Duvivier a été d’un rythme effréné. Ils ont contribué à rendre la ville de Pontoise culturellement très attractive. Au succès de l’exposition inaugurale Pissarro & Pontoise succéda, notamment, dans les années 2003 et 2004, la triomphale Camille Pissarro et les peintres de la vallée de l’Oise, qui voyagea jusqu’au Japon.

Christophe Duvivier développa une politique scientifique orientée vers les publications et vers le commissariat d’expositions internationales, qui a donné grande réputation aux musées de Pontoise. Il connut de grands succès dans sa logique des acquisitions d’œuvres de la seconde moitié du 19 e siècle et de la première moitié du 20 e siècle. Les collections réunissent désormais les signatures des amis peintres de Pissarro et de ceux qui ont collectionné ou soutenu ses œuvres : Cézanne et Ludovic Piette qui venaient peindre à Pontoise avec lui, Édouard Béliard, Charles Daubigny, Louis Hayet qui était un proche de son fils Louis, Berthe Morisot, Gustave Caillebotte, Norbert Gœneutte, Paul Van Ryssel, Henri Martin, Camille Pissarro, ses cinq fils et leur descendance, Ludovic Piette, Paul Signac, Victor Vignon, Maximilien Luce, Claude Monet…
Depuis lors, le monde entier emprunte des œuvres au MAHPP chaque année, du Metropolitan museum à New York au Musée d’Orsay à Paris, et jusqu’aux musées chinois. Le MAHPP s’est employé aussi à mener une action culturelle éducative, avec des visites guidées, des ateliers, des conférences, ses manifestations sur place de théâtre, de cinéma en plein air, de déjeuner sur l’herbe, ainsi qu’avec les Journées des Métiers d’Art, les Journées européennes du Patrimoine, la Nuit des musées…En parlant de tout ce qui a été fait, cette exposition ouvre la voie d’un avenir prometteur pour le MAHPP. Les œuvres ainsi réunies de Pissarro et de ses amis nous offrent des instants de réalité et d’éternité pour notre monde actuel en quête de repères.

REPÈRES
MAHPP 17, rue du Château, 95 300 Pontoise musee@ville-pontoise.fr 01 30 73 90 77
ville-pontoise.fr/le-musee-camille-pissarro
Exposition jusqu’au 14 janvier 2024 : MAHPP : le musée révélé