Dans l’est de la France, une route touristique de culture et de patrimoine met en valeur 29 châteaux à visiter parmi les centaines de demeures seigneuriales du département. La parcourir, c’est revivre la réalité de l’Histoire aux temps de l’Ancien Régime, avec tous ses styles et usages qui se sont modifiés au cours du temps. Le site internet de la Route des Châteaux de l’Aube présente des vidéos, des galeries d’images, des informations actualisées et des documents d’archives qui nous permettent, en complément, de saisir tout le charme et l’intérêt de ce patrimoine.

La demeure d’un ministre des finances
Le château de la Motte Tilly est situé à cent kilomètres de Paris, à cinq de Nogent. Il est construit en pierres blondes champenoises dans un style classique relativement sobre. Il est bordé d’un parc d’une soixantaine d’hectares. Il a été la demeure d’un homme politique exceptionnel, contrôleur général des finances de Louis XV, renvoyé par Louis XVI qui aurait mieux fait de le garder parce qu’il avait rétabli l’équilibre budgétaire du royaume. Cet excellent homme s’appelait l’abbé Joseph Marie Terray. Après sa disgrâce, il se retira dans cette luxueuse résidence. Une très jolie enfilade de salons est aménagée dans le style Dior, du nom du célèbre couturier lui-même très influencé par le décorateur Victor Grandpierre. On se trouve ainsi dans une atmosphère à la Louis XV, aux couleurs nuancées, exprimant à la fois une retenue et un sentiment de liberté, en osmose avec le confort contemporain. Par les grandes baies vitrées, on aperçoit le parc magnifique jusqu’à son lointain. Ce château a une âme, son espace exprime la grandeur du monde par le fini des choses. Le Siècle des Lumières s’exprime là dans la vie de tous les jours, chez ce grand seigneur qui n’avait rien à prouver mais voulait un lieu à sa dimension. On peut admirer une superbe bibliothèque, de jolies porcelaines et des céramiques comme on aimait à les exposer autrefois.

Une autre âme se trouve habiter encore les lieux.Le château fut au 20 e siècle la propriété d’Aliette de Maillé, née Rohan-Chabot. Elle consacra sa vie au style, aux vieilles demeures, elle voulait que soient sauvés ces vieux édifices qui ont littéralement consacré notre culture, lui permettant de forger le raffinement de notre société et la complexité de notre histoire. Elle fut la présidente de La Sauvegarde de l’Art Français de 1946 à 1972. N’ayant pas d’héritier, cette veuve de guerre eut la douleur de voir mourir sa fille avant elle. Elle transmit cette propriété de rêve au domaine public . Elle demanda que le château ne soit pas habité, mais simplement visité… et reste meublé tel qu’il est aujourd’hui, pour que le visiteur, au-delà de la simple curiosité, ait le sentiment d’une présence.

Un lieu prestigieux sauvé de l’oubli
Le château de Vaux fut au départ un rêve inachevé.
Il se situe à une vingtaine de kilomètres de la ville de Troyes, à proximité de la forêt d’Orient. Il fut construit au 18 e siècle par le célèbre architecte Germain Boffrand. Mais son propriétaire fut ruiné avant la fin des travaux qui donc s’arrêtèrent. Le château fut acheté par le marquis de Montfort, et plus tard par une des gloires du Second Empire, un des organisateurs de son coup d’État de 1851 : Charlemagne-Émile de Maupas. Puis le temps fit son œuvre et les vestiges du jour sont venus. Le bel édifice se trouvait presque à l’abandon. Il fut sauvé par Édouard Guyot. À l’exemple de ce que ses parents avaient fait en d’autres temps et d’autres
lieux, il reprit la propriété en perdition et se lança avec brio dans tout un travail de restauration. Le public peut visiter les pièces aménagées du château et imaginer les grandes réceptions qui étaient données dans ce cadre puissamment ordonnancé. Sans la volonté d’un jeune homme qui prit de grands risques financiers voici quelques années, que serait-il resté de ce lieu remarquable ? On oublie souvent une chose : il ne suffit pas de prendre la décision de rénover. Il faut en être capable. Il faut retrouver le souffle du passé, s’inspirer de l’indicible, et se consacrer de toute son âme dans la réincorporation d’un destin de pierres, afin de lui redonner une signification vitale.

L’esprit de la grande capitale
Le château de Barberey est une bâtisse Louis XIII. Faite de briques et de pierres, elle a dans son aspect quelque chose qui fait penser à la place des Vosges. L’influence parisienne est certaine, avec son imposant corps central, sa rigueur presque géométrique, et cette majesté qui ne se dépare pas d’un certain esprit de finesse. Nous sommes à cinq kilomètres de Troyes. Un bras de la Seine sert à alimenter les
douves. Les graviers autour de la demeure sont en correspondance avec les couleurs de la façade. Le jardin à la Française reprend les carrés prévus dans les plans prévus au 17 e siècle. On voit que tout a été pensé pour une harmonie correspondant au style, à l’idée que l’on se faisait de l’art au temps de ce grand roi que fut Louis XIII. Il annonçait par sa précision l’esthétisme du Grand Siècle et de l’aura que la France allait avoir sur une Europe à la recherche de son épanouissement. Cette belle demeure française, comme tant d’autres après les Guerres mondiales, reflétait la misère de notre pays. Elle fut heureusement restaurée, son harmonie initiale fut retrouvée, avec aussi une très belle décoration intérieure. On peut visiter l’extérieur du château et l’ancienne maison forte, le jardin français et le parc.

Une très vieille demeure de famille
Le château de Ricey-Bas a conservé le caractère des édifices du Moyen-âge. On sait qu’il fut construit en 1086 et connut de nombreuses et importantes modifications au cours des siècles. On peut visiter le cellier datant du 12 e siècle et qui a été restauré, la très grande cuisine avec sa cheminée médiévale, la salle du four à pain et les salles de réception aménagées dans les dépendances. Les autres intérieurs ne se visitent pas. En revanche, les jardins, qui sont à la Française, autrement dit conçus dans un ordonnancement, permettent visite et pique-niques agréables. Il est possible de se promener en autonomie le domaine avec un audioguide disponible en plusieurs langues.


Le château d’un noble républicain
L’entrée du château de Dampierre se fait par un châtelet, sa tour carrée possède quatre tourelles et des meurtrières pour les tirs d’arquebuse. Sa construction est du début du 16 e siècle. On passe une voûte de pierres et l’on débouche dans a cour d’honneur. Au fond, à une centaine de mètres, se trouve la belle résidence seigneuriale, construite dans un style datant de la fin du 17 e siècle. Il n’y a pas de contraste véritable entre les deux bâtisses. Elles sont liées par une sorte d’équilibre plaisant, un raffinement sobre où l’atmosphère guerrière de l’entrée cadre bien avec le côté paisible de la résidence principale. Nos anciennes élites étaient souvent militaires, elles préparaient les guerres, elles les menaient brillamment, mais elles voulaient aussi profiter du charme et du confort de la vie. Le château fut la propriété du général Auguste Marie Henri
Picot de Dampierre, officier des gardes françaises sous Louis XVI, grand admirateur de l’Amérique. Il sera général dans les armées républicaines, il remplacera Dumouriez après la défection de celui-ci, et il mourut à la tête de ses hommes à l’âge de 36 ans. Lors de la visite de ce château, on est frappé par l’élégance des lieux, une sorte de générosité désincarnée de son architecture. Il y a des lieux où souffle un esprit particulier.

Une résurrection
Le château de Droupt-Saint-Basle a été la propriété des chanoines de Vincennes, avant d’être au 16 e siècle celle de la famille d’un négociant, Louis le Mairat quisera maire de Troyes. En 1586, il obtint l’autorisation du roi Henry III d’établir des douves autour de son château afin de se protéger des brigands, entre autres les protestants puisqu’il était lui-même catholique en pleine Guerre de Religions.De la seigneurie de son époque, il reste les douves,la deux poternes d’angles et les murs du commun.En 1714, le château devint la propriété de la famille Guillaume de Chavaudon. Il devint un relais de chasse et un lieu de brillantes réceptions. La façade fut refaite en pierre de craie, les autres murs restant avec les pans de bois d’origine. Les pièces furent ornées de planchers, boiseries et cheminées superbes.Après 1974 et le décès de la dernière de la lignée des Chavaudon, le château partit à l’abandon. Les douves se retrouvèrent bouchées, le parc ravagé par des coupes de bois intempestives. En 1983, la demeure devait être démolie lorsque les propriétaires actuels firent le pari de l’acheter et de la restaurer.Les décors intérieurs, les lambris, les cheminées, lesmosaïques, les escaliers ont été remis en état. Toutest revenu à la vie et à la beauté dans ce château, le grand salon Louis XVI, les pièces du premier étage,le jardin d’hiver, et les communs, le pigeonnier, la grange, la glacière, les écuries… Un musée privé est dédié à l’art populaire. On peut être hébergé dans le gîte, jusqu’à 64 couchages… La privatisation du château et de la grange est possible.

Une pensée dynamique, tournée vers l’avenir
Cette route des Châteaux de l’Aube nous montre une profonde réalité de la France royale. Les élites sociales de l’époque avaient la volonté de s’implanter, de construire, de faire prospérer des terres qu’elles aimaient. C’était une volonté qui dépassait le cadre des besoins personnels. Il s’agissait de construire de belles propriétés, comme on avait édifié de belles églises et de belles cathédrales. C’était une façon de se modeler sur l’esprit du pouvoir royal et des résidences majestueuses signifiant le pouvoir de la monarchie absolue. L’aristocratie suivait avec attention les évolutions de style validées et diffusées par la cour. Loin de reposer sur des principes fermés, la pensée était ouverte à toute modernité. L’argent servait à modifier, créer, vivre dans de nouveaux styles qui aidaient à définir de nouvelles époques. Il était important d’être riche, mais c’était pour dépenser plus, que ce soit au jeu ou dans des aménagements de châteaux, l’argent circulait et c’était la fortune des artisans avec du travail qui se créait. Le Tableau économique du docteur Quesnay évoquait déjà les théories actuelles de la prospérité engendrée par le ruissellement. Il démontrait aussi la nécessité de voir en la richesse de la nature la principale source de nos biens. Ces aristocrates cultivés connaissaient tous les théories du docteur Quesnay et de ses amis que l’on appelait les économistes. Loin d’être un repli sur eux-mêmes et leur fortune, leurs châteaux et leurs aménagements étaient la formulation de leur pari sur l’avenir.

REPÈRES
Pour tout renseignement : www.route-chateaux-aube.fr
Exposition du 6 juin au 1 er octobre 2023 : Les Châteaux de l’Aube, Mille ans d’histoire à La Cité du Vitrail Hôtel-Dieu-le-Comte
31 Quai des Comtes de Champagne, 10 000 Troyes