La musique de l’absolu

Nous sommes en Haute-Loire. Un pays de très vieilles montagnes pour une très vieille foi venue de très loin. Un peuple d’anciens Gaulois convertis au christianisme, ayant gardé l’amour de la nature, des arbres et des pierres. Instinctivement, on pense qu’un tel paysage a été imaginé par une volonté du surnaturel. Comment ne pas prier les Dieux, lorsque l’on était un Celte habitué à vivre dans ces montagnes ? Comment ne pas croire au message du Christ, lorsque l’on est un homme du Moyen-âge aimant les miracles, convaincu de la présence des âmes des morts tout autour de nous, comme de celles des Anges-gardiens qui se promènent dans la forêt ?
Ces bois n’ont pas changé depuis la civilisation gallo-romaine. Le mode de vie est resté le même jusqu’à l’arrivée de la force motrice et de l’essence. C’était un monde puissamment subtil, secret, à proximité des grandes routes romaines parcourant le pays. La Provence n’était pas très loin, la Haute-Loire est tout à côté de la Haute-Ardèche. Quelques jours de marche, et l’on quitte le monde celte des Gabales pour se retrouver dans le monde latin de la vallée du Rhône. L’influence de l’église catholique et romaine va être très importante. Cette géographie explique l’abbaye de la Chaise-Dieu. Robert de Turlande était un ancien moine de Brioude. Il était influent. Il décida de se retirer dans ce lieu désert. D’autres moines l’accompagnèrent pour créer en 1048 la Maison de Dieu, ce qui se dit en latin Casa Dei, devenue La Chaise-Dieu.

Le chœur de l’abbatiale

En 1162 le Pape Alexandre III avait donné aux religieux de l’abbaye l’autorisation de donner sépulture dans l’église abbatiale en reconnaissance de services rendus ou de donations faites. De lourdes dalles servent ainsi de tombeaux et recouvrent le sol de l’église. Leurs inscriptions ont disparu avec le temps. Mais on a l’impression que les esprits sont toujours là, à prier et à nous donner le calme de l’absolu.
Trois siècles plus tard, le Pape Clément VI décida de faire de l’abbaye de La Chaise-Dieu le siège de sa sépulture auprès de celle de Saint Robert. Il commanda en 1343 la reconstruction de l’abbaye dans un magnifique style gothique. Il avait une âme de bâtisseur. Il avait été à l’origine du nouveau Palais
des Papes d’Avignon. C’était aussi un grand politique. Il avait été le maître d’œuvre du rattachement du Dauphiné au royaume de France. À quelques siècles d’intervalle, ces deux prélats éminents avaient été attirés tous les deux par ce ciel plus austère que celui de la Provence, par ce vent plus froid, par ces hauteurs qui inspirent la solitude et mènent le visiteur même non croyant sur les chemins de la contemplation. Ces deux hommes de pouvoir, riches et charismatiques ont consacré leur vie à Dieu. Et c’est dans ce paysage romantique et pauvre qu’ils vont déposer devant Dieu la résultante de toutes leurs actions chrétiennes. Ce sont des lieux inspirés, où le temps semble avoir pris un rythme plus long, avec cette intensité de l’absolu que donnent les montagnes, et certainement aussi parce qu’il y a eu ces religieux qui se sont installés auprès de ces pierres, au milieu de ces bois. La religion est un souffle qui ne s’éteint pas chez celui qui croit, ni chez celui qui en a été instruit. En ce Moyen-âge croyant à la Passion, on a le choix entre les portes de l’Enfer et les portes du Divin. C’est un choix moral à faire. Nous sommes dans des terres où l’on sent une haute conscience.

La Fayette, la Porte du For et la Tour Clémentine, le cloître et les anciennes cuisines, la chapelle des Pénitents qui fut autrefois le réfectoire des moines. Il y a aussi la salle de l’écho, où seule la personne située dans l’angle opposé entend lorsque l’on parle à voix basse. La Chaise-Dieu, c’est aussi ses 14 tapisseries flamandes. Classées au titre des Monuments Historiques depuis 1840. Tissées vers les années 1500. Avec des fils de laine, de lin écru, de soie, des fils d’argents et d’or. Elles racontent des épisodes de la vie de Jésus et de la Vierge Marie. Les couleurs chatoyantes, les habits des personnages nous permettent d’apercevoir ce Moyen-âge qui était joyeux, plein de vie et d’espérances.
L’image de la mort était toujours présente. Ce n’était pas elle qui faisait peur. Mais le risque de ne pas accéder à ce monde de bénédictions pour les élus au Paradis. Chacun pouvait atteindre cet idéal, cela dépendait de ses actes accomplis sur terre. La Chaise-Dieu était ainsi de haute morale sociale. La fresque de La danse macabre nous démontre qu’il ne faut pas se tromper sur les valeurs à vivre et celles à ne pas prendre en considération.

Les décors exceptionnels du paysage, du village et de l’abbaye se conjuguent pour créer une ambiance à la fois mystique et philosophique. Une éclosion culturelle a pu voir ainsi le jour, tournée vers les valeurs de la musique, de la peinture et de la rencontre. Depuis 1966, le Festival de musique classique de la Chaise-Dieu est célèbre dans le monde entier grâce à Gyorgy Cziffra, ce pianiste prodige, hongrois et tzigane, échappé des camps communistes où, condamné aux travaux forcés, il ressortit les mains douloureusement abîmées. Les concerts se multiplient, les représentations théâtrales, les arts du cirque… ainsi que les expositions de peinture… restent imprégnées par le sacré et les vagues mystérieuses des arts. La Chaise-Dieu est un lieu pour les ondes sacrées, venues de l’éternité de l’Histoire, du haut du ciel, du fond des pierres et de la terre, comme des notes de musique et de béatitude. Un immense programme de rénovation a été entrepris. Le très vieil orgue, les tapisseries, les bâtisses sont encore là pour des siècles, comme des minutes de silence et de bonheur.

Crédit photos : Syndicat Mixte du Projet Chaise-Dieu, Trenta ® © L. Olivier / Maison du Tourisme Haute-Loire

La Revue de l’Histoire N° 89 Été 2019

REPÈRES
La Chaise-Dieu, Rayonnante Abbaye 140 Place de la Mairie 43160 La Chaise-Dieu
Tel. : 04 71 00 05 55. www. abbaye-chaise-dieu.com