Le virus de l’histoire
La pandémie actuelle nous ramène dans une réalité souvent oubliée de l’Histoire : celle de ces monstres de la taille de quelques microns face auxquels aucune civilisation ne peut être certaine de survivre.
Au Moyen-âge, on redoutait la peste et le choléra. On empoisonnait les puits des châteaux lors de leurs sièges. Lors de la Guerre froide, on parlait d’armes N.B.C. : nucléaire, bactériologique, chimique. Et puis le Mur de Berlin s’effondra : des historiens affirmèrent alors que c’était La fin de l’Histoire. Cette épidémie que nous vivons pour encore longtemps nous montre malheureusement que l’Histoire n’a pas forcément un sens, ni une fin. Elle ressemble à un éternel retour de cycles. Dans L’insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera écrit, à la suite de Parménide et de Nietzsche, qu’il s’agit là du signe de l’éternité. C’est aussi le fardeau le plus lourd de nos destinées, et en même temps l’image du plus intense accomplissement vital. Une fois ne compte pas, une fois c’est jamais dit un proverbe allemand. Un seul cycle, ce n’est pas la vie, c’est l’insoutenable légèreté de l’être.Ce sens de l’éternité, du léger et du lourd, nous vous en parlons dans ce numéro : Les situations de paix se conjuguent avec les conjonctures de guerre, et cet art indicible de la peinture, de l’architecture, du chef-d’œuvre et de la mémoire arrive à son achèvement sous forme d’archives, de bâtiments et d’idéaux. Il rejoint la vie des gens comme une lumière sur cette nature toujours en train de se battre pour vivre et revivre dans un équilibre instable des choses, avec des crises, des épidémies et des pressions qui sous-tendent l’édifice comme des arc-boutants soutiennent la voûte d’une cathédrale. Alors s’accomplit le récit du mystère, appelé autrefois la tragédie grecque. Il s’agit de communiquer sur le conflit et son achèvement. Une guerre n’est gagnée que si l’on dit bien qu’on l’a gagnée. La subtile mémoire des formes est alors essentielle. Telle une apparence, elle rejoint l’Histoire pour créer la légende qui va elle-même enchanter et revitaliser nos différents états de conscience. Nous sommes alors en état d’affronter le virus suivant qui cherche notre mort.
Matthieu Delaygue