Vue sur la basilique et la maison d’Ozé en arrière-plan, depuis les berges de La Sarthe © Ville d’Alençon

Un travail d’artiste est souvent sur un mode ternaire, du précis, de la répétition, de la quête de l’unique. Dans les années 1650, une protestante d’Alençon, Marthe La Perrière, améliora le point de Venise, une technique de dentelle à l’aiguille venue d’Italie. On fabriquait ainsi, à la main, de fines et luxueuses pièces de textile ajouré, en utilisant comme matériel seulement un fil de lin* et une aiguille. Le point de France était né. Il sera baptisé point d’Alençon. Un centimètre carré de dentelle d’Alençon nécessite sept heures de travail. Il faut six à sept ans de formation pour en maîtriser l’ouvrage.

Un succès international

En 1665, Colbert accorda un privilège royal de neuf ans pour la création d’une manufacture de dentelle à Alençon. On allait s’arracher les marchandises dans toute l’Europe. Un siècle plus tard, l’industrie dentellière du point d’Alençon employait 10 000 personnes. Puis, à cause de la Révolution et des guerres napoléoniennes, la fabrication se ralentit. Elle recommença à prospérer sous la Restauration. En 1851, sa dentelle fut sacrée dentelle des reines et reine des dentelles. Mais la Révolution industrielle était en marche : l’apparition de la dentelle mécanique allait mettre à mal le point d’Alençon. Heureusement, le savoir-faire se perpétua grâce à l’École dentellière créée en 1902. En 1976, on mit en place l’Atelier Conservatoire National du point d’Alençon, rattaché à l’Administration générale du Mobilier National. Neuf dentellières y perpétuent le point d’Alençon. Elles bénéficient de commandes de prestige, comme la confection de rideaux pour le Salon d’argent du Palais de l’Élysée. Fort de 370 années, le savoir-faire de la dentelle d’Alençon est inscrit depuis 2010 sur la Liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l’humanité par l’Unesco. La Ville d’Alençon s’est engagée en retour à tout mettre en œuvre pour le sauvegarder. Le musée des Beaux-arts et de la Dentelle effectue à cet effet une politique d’achat importante. La Ville a récemment acquis un voile de mariée au point d’Alençon datant de la fin du 19e siècle, une sculpture en fil de nylon réalisée par Marjolaine Salvador-Morel à partir de cette même technique…

Le musée des Beaux-arts et de la Dentelle

Ses collections ont commencé à se constituer dans la seconde moitié du 19e siècle en grande partie grâce des donateurs. Le Musée a été fondé en 1857 par le sénateur Léon de la Sicotière. Situé sur une partie de l’ancien collège des Jésuites, il est composé de trois sections. La section Beaux-arts nous offre tout un voyage du 15e au 20e siècle dans les merveilleuses écoles française, italienne et nordique. Avec des œuvres de Giovanni Massone, Jean Reestout, Philippe de Champaigne, Jean-Baptiste Jouvenet, Juseppe de Ribera. Et aussi de Charles Landon, Henri Fantin-Latour, Gustave Courbet et Eugène Boudin. La visite se termine par le travail d’artistes ornais, d’origine ou d’adoption, comme Jacques-Edmond Leman, Jean-Jacques François Monanteuil, Gaston La Touche, Charles Léandre et les peintres de l’école de Saint-Céneri. De nombreuses sculptures sont aussi présentes, grâce au dons de la plupart de ses plâtres originaux par Victor Le Harivel-Durocher. Une autre collection remarquable du musée des Beaux-arts occupe une troisième section. Elle vient d’un Alençonnais qui a travaillé dans l’administration française en Indochine et au Cambodge de 1886 à 1911, Adhémard Leclerc. Cet ancien ouvrier du livre fut littéralement fasciné par le génie culturel de ces populations asiatiques dont, à l’époque, on ne savait pas grand-chose. Il constitua une magnifique collection. À son retour en métropole, il en fit don au Musée. Une grande partie était des œuvres d’art cambodgiennes. Ce fonds figure désormais parmi les collections de référence pour l’étude de la culture khmère. La section Dentelle vient d’être réaménagée, avec un parcours recentré sur le point d’Alençon. Elle compte plus de 1 200 pièces allant du 16e siècle à nos jours, dont 220 pièces ou échantillons au point d’Alençon. Des outils numériques permettent d’expliquer les quatre siècles d’évolutions techniques esthétiques et le travail minutieux des dentellières de l’Atelier National. Il existe un lien fort entre la production actuelle et la création contemporaine. Peut-être parce que la finesse du travail permet cette invasion intemporelle que l’on retrouve dans les arts modernes. Les autres grandes dentelles européennes, aiguille, fuseaux, mécaniques sont elles aussi présentées.

Pour les amateurs, un cours de dentelle à l’aiguille a été mis en place au sein des Ateliers du Centre d’Art à Alençon. Le point d’Alençon est constitué à partir de l’assemblage quasi-invisible d’éléments de petite taille dont l’exécution nécessite dix étapes : le dessin, le piquage, la trace, les réseaux, les remplis, les modes, la brode, le levage, l’éboutage et le luchage. Sa complexité fait qu’il n’a jamais pu muter vers le fuseau ou la machine.

Une ville aux beaux ouvrages

Alençon est une jolie préfecture pour un joli département. Elle a les vertus d’une ville calme, où les étudiants sont nombreux puisqu’une faculté de droit réputée y est installée. Dans son passé elle était rattachée au duché de Normandie. Elle a été la résidence de Marguerite d’Angoulême, la sœur de François 1er qui est restée dans l’Histoire pour avoir défendu la liberté de pensée lors des Guerres de Religion. Elle donna asile à nombre de persécutés. Parmi eux : Clément Marot et Bonaventure des Périers…La ville devint alors un centre important de la Réforme calviniste, on l’appellera la petite Allemagne. Jusqu’à la Révocation de l’Édit de Nantes où les protestants émigrèrent à l’étranger. Alençon devint une ville catholique. C’est à Alençon que naquit sainte Thérèse de Lisieux, dont les parents tenaient une entreprise de fabrication de dentelle.La prospère histoire d’Alençon se retrouve dans son architecture. La très belle Halle au blé qui date du début du 19e siècle. Ses belles maisons et hôtels particuliers. La jolie maison des parents de sainte Thérèse. La très belle basilique Notre-Dame. Le superbe Hôtel de ville qui date du 18e siècle. Alençon est dans la lignée de ces villes de charme qui ont un passé riche et se rattachent l’Histoire de France par ce goût de l’esthétique, du raffinement et de la tradition.

La Revue de l’Histoire N° 94 Hiver 2020 – 2021

REPÈRES

MUSÉE DES BEAUX-ARTS ET DE LA DENTELLE, Cour Carrée de la Dentelle, 61 000 Alençon. Tel. : 02 33 32 40 07. http://museedentelle.cu-alencon.fr