La musique de l’absolu

Située à mi-chemin sur une ligne allant de Reims à Strasbourg, la ville de Toul célèbre l’anniversaire de son historique lieu de culte dont la construction commença en 1221 pour se terminer à la Renaissance : La cathédrale Saint-Étienne est le symbole de cette vieille Europe vivant de la même passion religieuse malgré ses guerres intestines. À cette époque, il ne s’agissait pas d’une ville française. La principauté épiscopale de Toul était un état du Saint-Empire romain germanique, jusqu’à ce qu’elle soit annexée par le roi de France Henri II en 1552.

L’ancienne Austrasie


Au temps de la Guerre des Gaules, le pays de Toul était la terre des Leuques, une tribu belge dont la capitale était Boviole.
Ils envoyèrent 5 000 soldats soutenir Vercingétorix à Alésia.
Par la suite, les Romains installèrent leur chef-lieu à Toul appelée Tullum Leucorum. Ce fut une des plus grandes agglomérations du monde gallo-romain, en
liaison avec Trèves surnommée la seconde Rome, et qui fut une des quatre capitales de la Tétrarchie, lorsque les Romains divisèrent leur immense empire en quatre parties.

La richesse d’un évêché

Le Traité de Verdun de 843 attachera le pays de Toul au royaume d’Austrasie, Le roi de Germanie Henri l’Oiseleur accorda au 10 e siècle une très large autonomie à l’évêché de Toul, qui deviendra une principauté épiscopale indépendante. Les évêques de Toul portaient le titre de comte et ils étaient nommés princes temporels du Saint Empire, de même que ceux de Metz et Verdun. L’évêché de Toul restait toujours attaché à l’archevêché de Trèves. Son territoire correspondait à celui des Leuques sous l’Empire romain. L’évêque de Toul pouvait créer sa propre monnaie. Il possédait d’importantes mines d’argent dans le Val de Saint- Dié et à Bergheim en Alsace. Toul figurait ainsi comme un grand évêché et une ville importante du Saint Empire. C’est ce qui explique la somptuosité de sa cathédrale et la richesse de son Trésor. Le pouvoir à l’intérieur de Toul se partageait, avec les rivalités qui pouvaient avoir lieu en de tels cas, entre l’évêque, il représentait le spirituel, il était le seigneur de la ville, son vidame, il avait la délégation de la force armée et administrative, et les corporations de bourgeois dont le rôle allaient grandir au fil des siècles. Quant au terme de Saint Empire romain germanique, il ne sera utilisé qu’à partir de la Renaissance. Mais cette entité politique, avait bel et bien une réalité et une puissance internationale. Il s’agissait d’une monarchie élective qui regroupait l’essentiel des populations allemandes par l’intermédiaire de la mosaïque de royaumes, duchés, comtés, évêchés, plus ou moins indépendants, constituée à partir des anciens clans germaniques de l’Antiquité liés par des idiomes, traditions et cultures communes.

Saint Mansuy sera le premier évêque connu résidant de la ville, dans les années 338 à 375. Son successeur sera Saint Amon. Leur sanctuaire se trouve dans la crypte de l’église saint Pierre de Toul. Saint Mansuy était invoqué pour la guérison des lépreux.Face au nouveau danger des Grandes Invasions, l’Empereur Valentini fortifia la ville en en 375.

L’influence française

En 1552, par le traité de Chambord, les princes protestants allemands cédèrent le vicariat des Trois-Évêchés, Metz, Toul et Verdun au roi de France Henri II. En échange de son aide contre le très catholique Charles Quint. Les Français allaient occuper les trois villes. Le rattachement définitif du Territoire des Trois Évêchés sera concrétisé par le traité de Munster
au mois d’octobre 1648. Ce dernier faisait partie des traités de Westphalie mettant fin à la guerre de
Trente Ans* et rétablissant la paix entre le Saint- Empire romain germanique et le Royaume de France. Le rattachement à la France s’était fait sans difficulté : le clergé catholique gardera dans les trois villes toute son importance et son faste. L’attachement patriotique était bien moins important que le sentiment religieux. Toul était une ville catholique. Elle le restait. Les messes étaient dites en latin, en utilisant les mêmes rituels, de Madrid à Cologne, de Londres à Rome… La ville de Toul, française, gardait son identité propre quel que soit son système de rattachement. Sa cathédrale construite sous le Saint-Empire voyait désormais son sort lié à celui du Royaume de France.

*qui dura de 1618 à 1648

Le monde des pierres et le monde du ciel

La religion chrétienne reposait sur une notion pyramidale : Dieu donnait le pouvoir au prince qui avait pouvoir sur sa noblesse et son peuple. La
cathédrale consacrait l’équilibre métaphysique nécessaire à l’équilibre de toute organisation sociale. Les différents droits et toutes les activités
humaines s’inscrivaient dans ce cadre à la fois social et mystique. On y servait la messe comme dans une église ordinaire. Mais, par sa dimension,
la cathédrale représentait ce que l’on a souvent considéré comme le symbole d’un pouvoir politique. Mais cela, en fait, allait bien plus loin elle était surtout le lien sacré, reconnu essentiel, avec l’ensemble du cosmos et de la Connaissance . Rien n’était donc trop beau pour construire une
cathédrale. Son coût importait peu. On faisait appel aux artistes et compagnons réputés pour leurs talents. Ils venaient des régions avoisinantes, certains pouvaient se promener dans toute l’Europe.

La Cathédrale Saint-Étienne est un mélange très réussi des tendances artistiques de l’Est de la France. L’idée d’ensemble était de faire une parfaite unité. Ce que l’on appellera bien plus tard les styles s’harmonisaient, se valorisaient les uns les autres.
Les styles ottonien, gothique et rémois, même s’ils sont proches les uns des autres constituent ensemble une sorte d’innovation dans l’histoire de l’architecture. On y ressent encore l’influence carolingienne, elle-même issue pour partie du style romain.
La façade riche et flamboyante, l’élégance des voûtes élancées, la Chapelle des Evêques et la Chapelle Jean Forget, de style Renaissance montrent que la même pensée culturelle s’exprimait en continu au cours des siècles. Le très grand cloître est de style gothique, il est daté des 13 e et 14 e siècles avec ses gargouilles qui représentent des animaux, des humains et des êtres fantastiques. Le chœur est du
17 e et 18 e siècle. Ainsi que les autels et œuvres d’art dont un tableau du Sacré-Cœur du peintre lorrain Jean Girardet.

Une réhabilitation artistique
La Convention nationale ordonna la destruction des personnages sculptés de la façade. Certains seront sauvés et exposés au Musée de Toul. Un bombardement en 1870 détruisit les vitraux . Un autre bombardement lors de la Seconde Guerre mondiale anéantit la toiture et l’orgue. Une importante campagne de restauration commence dans les années 1980. Jusque là le toit de la cathédrale était resté provisoire. Les grandes orgues Schwenkedel ont été inaugurées en juin 1963, soutenus par une tribune baroque du 18 e siècle. Elles comptent 70 jeux. Leur restauration a été achevée en juin 2016.

La rénovation parfaite de la cathédrale de Toul est ainsi accomplie pour son huit-centième anniversaire. Cela donne lieu depuis l’année dernière à un ensemble de manifestations : Concerts, festival Bach, expositions, cycles de conférences et de films, ateliers thématiques, animations en la Cathédrale et dans la ville… La manifestation La Lorraine est formidable au mois de juin sera accompagnée d’un salon de la gastronomie et du Salon du livre lorrain. L’association Toul Accueil porte le projet d’une exposition de son groupe peinture ayant pour thème la Cathédrale et la vie au Moyen Âge. De même, le Centre de Détention de Toul, et plus précisément les détenus de l’Unité Locale d’Enseignement, vont proposer au public leurs productions en exposant dans la Cathédrale.

Au Musée d’Art & d’Histoire Michel Hachet, une exposition Bâtisseurs de CathédralesÉvêques et chapitres XIII ème / XV ème siècles abordera par des documents d’archives le portrait des bâtisseurs de la Cathédrale.
Citons aussi parmi les livres : La Cathédrale Saint- Étienne de Toul, de Philippe Masson, aux éditions Serge Domini. Bestiaire de la cathédrale, de Bernard Denis, aux éditions Cahiers du patrimoine Toulois qui publient aussi Les monnaies épiscopales de Logan Mathiot.

Crédit photos : ©Ville de Toul, ©Vincent DAMARIN

REPÈRES
CATHÉDRALE DE TOUL . HUIT CENTS ANS Programme 2022 : www.toul.fr/cathedrale800ans
Don pour la nouvelle sonnerie de cloches : www.fondation-patrimoine.org77349

La Revue de l’Histoire N° 98 – Printemps 2022