Bassin Maison de Sucellus. © Patrick Ageneau

Situé dans le département du Rhône, le musée et le site archéologique à Saint-Romain-en-Gal dévoilent plus de 2 000 ans d’histoire antique.

UNE DÉCOUVERTE INATTENDUE
Jusqu’en 1967, comme un peu partout dans la Provence et le couloir rhodanien, on supposait qu’il y avait à Saint-Romain-en-Gal des vestiges de quelque domus. On ne s’étonnait pas de trouver de vieux débris de pierres policées, de poteries… Mais lorsque l’on réalisa cette année-là l’ampleur des découvertes, les réactions des archéologues et des services concernés furent conséquentes. On vit tout de suite le parti que l’on pouvait en tirer. Tout un passé allait resurgir et montrer la richesse de cette Gaule romaine qui fut à l’origine de la France. On allait mettre en valeur le luxe des villas, leurs infrastructures perfectionnées, les voies dallées, l’imbrication des constructions, leur réseau hydraulique de haut niveau conceptuel et technique. C’est aussi toute une vie sociale complexe qui apparaissait. Avec son commerce international, ses systèmes de production parfaitement définis et obéissant à la loi de l’Offre et de la Demande.


DE VIENNA À VIENNE : UN DESTIN ALÉATOIRE
La rive gauche de Vienna allait être abandonnée à la fin du IIIe siècle parce que le Rhône était concurrencé par le Rhin et le commerce de voie maritime qui transitait plus à l’Est à partir de la mer Noire jusqu’à la mer du Nord.
Le commerce d’huile d’Espagne commençait par ne plus passer par la Provence, mais par la Méditerranée…
Vienna ne fut pas détruite par les Barbares mais par la mondialisation, clé de voûte de la Pax Romana économique. Elle allait devenir Vienne sur sa partie du département de l’Isère, mais en Provençal on l’appellera toujours Vienna.
De l’autre côté du Rhône, tout un quartier résidentiel et industrieux disparut, ses débris pouvaient affleurer le sol au cours des siècles suivants, on en perdit peu à peu la mémoire. Les fouilles ont remis en valeur ce vaste ensemble monumental, créé au Ier siècle après J.-C. et sur lequel a été construit, trois siècles plus tard, un des plus importants édifices funéraires connu du monde gallo- romain.

UN MONDE GALLO-ROMAIN REMARQUABLE
Les fouilles menées tout autour de Saint-Romain en Gal ont démontré une chose : tout au long de ce Rhône magnifique, la vie était extraordinaire. Le luxe des domus était magnifique. Le confort digne de celui de notre époque moderne. Le niveau de culture philosophique et littéraire devait donc être quasiment le même.
Il avait un fondement politique : le droit romain. Et un fondement mystique aussi : les rituels païens, dont on ignore beaucoup de choses, mais qui étaient, pour le peu qu’on en sache, d’une complexité importante. Ils utilisaient
de la magie, des forces de l’inconscient, des formes artistiques, des symboles, des mots et des formules venus de temps anciens et oubliés. Ils voulaient toucher le monde invisible de l’au-delà, le monde surnaturel. Ils faisaient appel aux vieux mythes indo-européens remontant à la nuit des temps, aux vieux mythes iraniens, syriens, égyptiens…
Loin d’être une religion plus primitive que le christianisme naissant, la religion païenne reposait sur tout un discours, une organisation, une philosophie qui permet à l’Empire romain de se positionner comme une grande civilisation ouverte et éclairée face à l’histoire de l’humanité. La tolérance religieuse était la règle. Les populations vaincues
pouvaient garder leurs dieux et leurs propres rituels religieux. On leur demandait simplement d’être tolérantes face aux religions déjà implantées dans l’Empire et de reconnaître la spiritualité impériale qui était l’unificatrice politique de ce gigantesque ensemble de tribus, de cités, de citoyens et de non citoyens, d’esclaves et de maîtres, de commerçants, d’agriculteurs, de soldats et de rentiers qui tenaient les deux rives de la Méditerranée.

À LA RECHERCHE DE VIENNA
Les collections du musée dressent un panorama complet de la vie quotidienne au cours des premiers siècles de notre ère, le long de ce couloir rhodanien si proche mentalement de l’Italie. Le parti choisi est celui d’une approche ethnologique, avec de nombreuses reconstitutions sous forme de maquettes, comme celle de Vienna au IIe siècle de notre ère. L’artisanat, le commerce sont évoqués dans la partie du musée qui domine le Rhône, soulignant le rôle économique essentiel de ce fleuve. Les plus-values générées étaient importantes. Le trafic fluvial sur le Rhône était parfaitement organisé par de riches compagnies de navigation dénommées les nautes. Elles avaient leurs bureaux à Lyon qui s’appelait à l’époque Lugdunum. Les produits les plus transportés étaient l’huile d’olive, le vin et le garum, une sauce à base de poisson et de saumure, qui était très utilisée et correspondait au nuoc-man des pays de l’Asie. Vienna exportait son blé, sa production de vin, ses textiles, ses objets d’artisanat, poterie, vaisselle, etc… Il y avait aussi le vin des Allobroges, le vin miellé, le vin doux à base de raisins secs, le vin cuit, le vin d’Italie, celui de Naples dont les cépages furent replantés après leur destruction par l’irruption du Vésuve en 79 après J.-C. Les Romains aimaient aussi beaucoup le poisson qu’ils conservaient et transportaient macérés dans de la saumure. Le transport se faisait usuellement par amphores qui permettaient, avec un système d’imbrication et de superposition, de ne pas perdre de place. Les entrepôts de Saint- Romain-en-Gal occupaient une superficie de 5 hectares environ. Ils étaient comparables à ceux d’Ostie. Les marchandises pouvaient aller dans les deux sens : vers le Sud, Rome et les villes de la Méditerranée, ou bien vers les territoires du Nord et du Limes qui avait été construit. Il fallait aussi compter sur les impôts en nature qui étaient prélevés par l’administration…Comme le montre la maquette du musée, les entrepôts étaient disposés en rangées, avec des cellules de 480 m2 ou de 294 m2.

UNE ORGANISATION RATIONNELLE DES PRODUCTIONS
On a beaucoup de vestiges de céramiques, parce que c’est un matériau qui se conserve très bien. Mais on travaillait aussi les os, le bois, le cuir, l’osier, le plomb. Les superbes demeures de grand luxe voisinaient avec les entrepôts et les boutiques. Les tabletiers travaillaient les os, essentiellement les os de bovins, que l’on faisait tremper 20 jours dans la chaux pour enlever tout ce qui pouvait rester de viande. Ensuite, on pouvait fabriquer des aiguilles, des épingles, des jetons et dés à jouer, des stylets pour écrire sur les tablettes de cire, des charnières, des manches de couteau, des peignes et des cuillères…On a trouvé un atelier de foulons pour le tannage et le lavage du textile.
Le plomb était peu coûteux et facile à travailler. Il servait pour les tuyauteries d’adduction d’eau dans les maisons. Soixante-dix noms de plombiers ont été recensés sur les tuyaux. Le plomb était aussi utilisé aussi pour assembler des blocs de pierre, sceller des statues, couvrir des bâtiments. C’est dans les villes de Vienne et de Rome que l’on a retrouvé le plus de traces de l’activité des plombiers de l’époque.
Le quartier de St Romain-en-Gal a été un centre important de vaisselle de terre cuite. Un four de potier a été retrouvé en 1977. Il faisait partie d’un ensemble de 12 fours d’un atelier de potier du Ier siècle de notre hère. La production présentait une certaine standardisation : cruches, pots, mortiers, jattes, bougeoirs et saloirs… Une partie
de production était plutôt de type gaulois, avec des écuelles en céramique grise, pots à cuire et bols peints. Une autre partie de la production était plutôt de type latin : gobelets à parois fines, cruches de couleur claire… céramique sigillée, c’est-à-dire à vernis rouge brillant. La technique de fabrication de celle-ci aurait été apportée par des Italiens du Nord une vingtaine d’années après la fin de la Guerre des Gaules.
De nouveau on perçoit que la concurrence économique devait jouer à plein. Face aux productions des grands ateliers de la Gaule plus au Sud, on a décelé que certaines productions passèrent en mode mineur. Le marché rentable pour Saint-Romain-en- Gal se trouvait dans la production de type gaulois.
Et si l’on regarde bien les décors de céramiques trouvées à Saint-Romain-en- Gal, en particulier lorsqu’ils présentent des personnages ou des animaux, on ne peut que donner raison à ceux qui trouvent déjà une ressemblance avec de l’art médiéval. Il y a un certain principe de réalité où l’animal est mis en valeur, où l’âme, l’esprit et le corps humain forment un tout menant à un équilibre des choses et des situations, avec un désir de transcendance voulue.

UNE PHILOSOPHIE DE LA VIE TRÈS DYNAMIQUE
À l’intérieur des villas on a trouvé des lieux de culte familiaux, des statues ou des images de Dieux, ainsi qu’une statue d’un dieu gaulois. Si l’on joint à ce genre de vie gallo-romain, efficace et agréable mais religieux, le sentiment d’organisation juridique et économique de tout ce quartier d’affaires et de production, une question se pose : quelle
était la morale de tous ces gens, quelle était leur sensibilité et leur philosophie ? La réponse est déduite de toute cette organisation : elle devait reposer sur une sorte de sanctification par l’action positive et productive. Une mentalité finalement très en vogue actuellement par l’influence des États-Unis : un monde de concurrence et de religion, de foi en l’Empire et en soi-même, à partir du moment où l’on est rigoureux vis-à-vis de son propre corps et de son mental. Cette ambiance dynamique est soulignée par le côté joyeux des couleurs des murs, dans les villas, dans les décors dignes des villas californiennes actuelles, avec fontaines, jets d’eau, bains de vapeur, jardins intérieurs…Les Romains et les Gallo-romains dont l’essentiel de notre population française descend étaient des prosaïques dotés de volontés religieuses et d’ambitions internationales, avec en toile de fond une prospérité et un sentiment très classique de la beauté.

La Revue de l’Histoire N° 81 Printemps 2017

REPÈRES

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