Les enfants d’ Hiroshima et Marignan

Le 14 septembre 1515, la victoire de Marignan donnait à la France un avantage incomparable sur le reste du monde. Nos vaisseaux voguaient en Amérique, notre modèle culturel s’établissait en Europe, nous entamions une alliance avec l’Islam. Le 18 juin 1815, le mythe fondateur de la France, première dans le monde, s’effondrait sur une jolie plaine de la Belgique. Les Anglo-saxons devenaient maîtres du monde pour les deux siècles suivants. Sans Waterloo, la finance anglaise ne serait pas en train de gouverner les marchés, les fonds de pension, les banques et les investissements. Ce serait Paris qui tiendrait les cordons de la bourse et de la politique internationales. Le 6 août 1945, c’était au tour de la jolie ville d ‘Hiroshima de marquer le destin du monde. L’Empire japonais était forcé d’entrer dans le rang des puissances moyennes et de respecter les codes culturels de ses vainqueurs anglo-américains. Tocqueville fut un des premiers à prévoir l’ascension de l’Amérique face au chant du monde européen symbolisé par ses magnifiques châteaux. Le pouvoir international restait entre des mains anglo-saxonnes. Il déployait une volonté de puissance sortie d’un même moule intellectuel : les universités anglo-américaines. Il modifiait simplement sa répartition territoriale entre Londres et Washington. Que reste-t-il du pouvoir français ou japonais face à cette puissance mondialiste ? Tous les anciens empires peuvent se poser cette question : l’Espagne, le Portugal, l’Autriche, la Chine, la Russie et l’Allemagne. Ils se sont heurtés au monde anglo-saxon et n’ont pu tenir le choc de la lutte frontale. Cela sera la problématique de Charles de Gaulle. Il connaissait les idées de Tocqueville. Dans son discours du 18 juin, il prévoit l’agonie de l’Allemagne nazie au moment de son triomphe presque total. Il annonce la victoire des forces mécaniques anglo-américaines. Pourtant l’armée des États-Unis était inexistante. Celle de l’Angleterre venait d’être vaincue. Et Roosevelt se proclamait pacifiste. Mais les prévisions de Tocqueville et du général dissident allaient se réaliser. La France, l’Allemagne et la Russie allaient se remettre difficilement de leurs guerres internes de l’Atlantique à l’Oural. Jamais elles ne pourront atteindre la maîtrise des mers, des terres et de l’air du pouvoir anglo-américain. Celui-ci réussit à protéger très habilement son expansion économique et son contrôle international des matières premières. Il a même réussi à imposer son idéologie dominante correspondant aux critères intellectuels de Harvard. En cet été 2015, sommes-nous à un tournant de la géopolitique ? Nul ne le sait à l’avance. Si un cataclysme financier avait lieu, cela ne signifierait nullement la fin obligée du monde qui nous régente et qui, malgré tout, nous est relativement favorable. Parce qu’il procède, pour partie, de notre culture. Le Corse Pascal Paoli en est un des plus beaux exemples. Les anciens Empires sont aimablement dénommés grandes puissances. Cela signifie qu’ils pourront trouver en eux-mêmes leurs propres anti-corps pour surmonter les drames à venir. L’histoire de Napoléon, François 1er , de Gaulle, des artistes de Louis XIV, des philosophes des Lumières, pourront aider notre pays par leur souvenir et leurs travaux. Afin de construire ce nouveau modèle du XXIe siècle que tout le monde espère pour définir la France, l’Europe et notre nouvelle civilisation. Avec en toile de fond, le risque de nouveaux suicides collectifs, tels Verdun, Waterloo et et Hiroshima. Cela serait alors une autre histoire.

Matthieu Delaygue