La France est-elle une fiction ?
C’est ce que pensait la Sorbonne lorsqu’elle fit condamner Jeanne d’Arc au bûcher. Mais il suffit d’aller visiter la France du Berry, de ’Allier, de l’Orléanais, pour se rendre compte que la Sorbonne se trompait. Le royaume de France repose, en son noyau philosophique, sur les terres tranquilles et douces comme celles du Centre de la France. Elles ont été parfaitement décrites par Alain Fournier dans les premières pages du Grand Meaulnes. Elles sont ce mélange de raisonnable et de passion qui a constitué notre esprit français où le pur classicisme ne peut s’empêcher de flirter avec le romantisme le plus absolu. À Tours, voici Saint Martin : Humaniste, médium,exorciste, organisateur de génie. Il parlait aux apôtres et à la Sainte Vierge. À Bourges, voici Charles VII. Il sera un des meilleurs rois de France. Il se fia à des voyances et des ordres secrets pour sauver son trône.À Orléans, voici Jeanne d’Arc, une jeune fille de 18 ans qui est en communication avec Dieu et les anges. Elle anticipe les mouvements de l’armée anglaise, elle réussit à battre militairement des soldats professionnels. Elle dirige elle-même avec succès les tirs de l’artillerie française, chose qu’elle n’avait jamais fait auparavant. Elle se dit inspirée par Dieu. Elle ne vit que pour la religion et la monarchie qu’elle est en train de sauver. Un peu à l’Ouest de ces terres, voici des Français qui partent s’installer en Amérique du Nord. Ils deviendront les Acadiens. Malgré les pressions anglaises, malgré leur déportation, malgré leurs nombreux morts et leur ruine, ils ont continué, avec l’appui de leur foi, à maintenir leur langue et leurs traditions profondément attachées aux valeurs catholiques.s’était allié avec un empire anglais sans force militaire terrestre, et un empire russe qui n’avait pas évolué politiquement depuis Napoléon.Où se trouve la limite entre le rêve et la réalité en Histoire ? L’irrationnel est toujours présent.On ne peut l’évacuer en le qualifiant de superstition, de schizophrénie, de manque de connaissance scientifique… Car la seule certitude que l’on a, c’est que des gens y croient, et que des choses extraordinaires se sont passées, vues par des multitudes de témoins. Le mysticisme et la mesure raisonnable de toute chose ont été ainsi les deux fondements antinomiques de la monarchie française. Le peuple de France s’est forgé autour de ces valeurs et ne les a contestées qu’à partir de la Révolution. Celle-ci remplacera le sentiment monarchique par l’amour de la patrie et le nationalisme. Il deviendra le ciment de la France, toute classe sociale et tout parti confondu. Jusqu’à l’arrivée des pensées communistes et nazies. Il y a de grandes chances que nous soyons à un nouveau grand tournant de la pensée et des idéologies. Les modifications techniques de nos sociétés sont hors normes. La géographie et l’histoire risquent d’être perçues de façon différente. De même que la physique et la médecine. Il ne s’agit pas seulement d’enjeux économiques, ethniques, ou politiques. Mais aussi d’une remise en question de chaque individu dans son raisonnement le plus intime. Parce que nos points de repères sont en train de se modifier totalement.
Que vaudront les barrières que l’on serait tenté d’inventer face à de tels changements ? Saint-Exupéry décrit un roi sur sa planète qui feint de pouvoir gérer les couchers de soleil. Nous risquons d’imiter ce monarque et perdre, comme lui, notre sens de l’analyse. Que deviendra notre liberté de penser si nous ne sommes plus capables de voir le vrai ? N’est-ce pas le monde tel que l’a imaginé George Orwell, avec la mort de l’Histoire espérée comme le progrès ultime de l’humanité, comme cela fut dit il y a quelques années, lors de la Chute du mur de Berlin ?
Matthieu Delaygue