Au temps de Louis XI on croyait en Dieu. Les prières ressemblaient à des formules magiques et des incantations vers un ordre ancien, avec la force des ombres et des chemins mystérieux. Sous l’arbre aux fées de Jeanne d’Arc, venaient d’étranges et très belles visiteuses. Et les femmes du village partaient en pèlerinage adorer la Vierge Noire du Puy, à l’autre bout du Royaume. Cet arbre et ces dames allaient sauver la France. Pourra-t-on connaître les pensées et les dévotions murmurées par Isabeau de Bavière ? Elle inventa des jeux de cartes pour distraire son mari. Il vivait dans un autre monde, éclairé par des meurtres, des mauvais coups, il hurlait de terreur. C’était une mystique allemande. Elle ne voyait pas trop l’intérêt d’un royaume de France indépendant. Elle se sentait plus proche de la logique anglaise et bourguignonne. Ce quinzième siècle est déroutant. Il signifie une négation de tous les codes utilisés par notre monde moderne, à la recherche, lui-même, de sa propre définition de la raison. Quatre siècles plus tard, on trouvera une classification temporelle. D’abord le Moyen-âge. Ensuite la Renaissance. Après, Louis XIII et une suite de numéros de Louis jusqu’à la Révolution, l’Empire et la République. Le Moyen-âge étant le plus éloigné dans le temps, il fut souvent qualifié d’obscur et de brutal. On ne lui trouvait pas le raffinement italien découvert lorsque nous irons mettre à sac les alentours de Milan et de Naples. Bien sûr, les Français qui vécurent au Moyen-âge et à la Renaissance ne définirent jamais leur siècle à partir de ces termes de Renaissance et de Moyen-âge. Et où situer Louis XI ? Est-il une brute moyenâgeuse ou un prince de la Renaissance ? On se sert alors d’une autre classification qui sent le programme scolaire : les Temps modernes. Louis XI est-il un roi incompris parce qu’à la croisée de différentes séquences du temps? Il n’aimait pas son père, il jugeait son frère idiot, il combattit son cousin jusqu’à provoquer sa ruine de façon indirecte mais bien volontaire. Jeune, il fut nommé Prince des Écorcheurs, il fit trembler le Nord et l’Est de la France, à cause de la violence de ses troupes. Mais tous, victimes, bourreaux, paisibles, non paisibles, ils étaient passionnés. Ils s’agenouillaient dans les églises avec émerveillement. Ils récitaient leurs prières. Ils étaient nos ancêtres. Ils pensaient que la vie sur terre comptait peu, de toute façon, comparée à celle de l’au-delà. La France s’est constituée à partir de cette violence et de cette énergie. L’art de cette époque est rempli de lumières. De nuancés de couleurs. Il explosait de joie de vivre et d’intelligence. La quête de la Toison d’Or menait à la recherche du Beau. La notion de Paradis offrait la révélation finale, fruit de l’amour parfait, où Dieu trouvait sa place, avec ses anges, ses archanges, ses prières, ses chants… Le roi s’agenouillait devant la statue de Notre-Dame de Cléry. Il priait lui aussi par amour. Il aimait son peuple, ses enfants, ses amis, ses chiens… Il réfléchissait beaucoup. Il se passionnait pour les livres imprimés, la chasse et les techniques de combat. Il connaissait sur le bout des doigts la géostratégie européenne. Il était en faveur de la libre entreprise et de la discussion… Il avançait sur des chemins qui sont toujours les nôtres. La France est-elle une fiction ? devait-il penser dans ses moments de doutes. Parce qu’il avait des doutes. Il se trompait parfois. Il le savait. Et puis, il regardait ses soldats, il se rappelait ce paysan chez qui il avait partagé la soupe, quelques jours plus tôt, ils s’étaient racontés comment ils voyaient les choses… Alors il n’avait plus de doute. Oui, la France était là. Une sorte de réalité charnelle. Et le peuple français qui venait d’entrer dans l’Histoire n’était pas prêt de se faire oublier.

Matthieu Delaygue