L’histoire, c’est une suite de gestes fous, absurdes, terrifiants…Ils mènent le monde parce qu’ils empêchent d’aller en ligne droite, d’un point à l’autre.
Au milieu de l’été 1914, l’armée française était partie pour être enfoncée comme elle le sera en 1940. Un système colonial et scolaire, sans grande envergure, allait se heurter à toute la force du pangermanisme. Il s’était allié avec un empire anglais sans force militaire
terrestre, et un empire russe qui n’avait pas évolué politiquement depuis Napoléon. On aimerait tellement tout prévoir… avoir des certitudes historiques… comprendre par la raison. Mais l’Histoire, c’est l’inverse. Reims allait se trouver au milieu de cette tourmente en
préparation. En 1909, elle lança un meeting d’aviation international. Tous les pays modernes y participèrent, en amis. Quelques années plus tard, ces mêmes amis se canardaient en plein champ, sur les mêmes lieux. C’est pour cela que l’Histoire n’est écrite nulle part. Tout peut toujours arriver. Aucune prospective n’est bonne. Le hasard mène le monde. Comme dans un drame shakespearien. Quel est le rôle du grand personnage dans une telle tragédie ? Trois grands soldats sauvèrent la France sur la Marne et à Verdun : les généraux Lanrezac, Gallieni et Pétain. Ils furent aidés par un million de soldats. Qui se firent tuer sur place pour arrêter les Allemands. Et la France ne tomba pas. On doit aussi parler des autres : Clemenceau, Poincaré, son ennemi politique…Et puis Joffre, qui fut un excellent général, malgré les
critiques dont il est victime, parce qu’il était franc-maçon et républicain, Foch, critiqué autant, parce qu’il n’était ni franc-maçon ni républicain, Castelnau, tout ultra-catholique, Sarrail ultra républicain… Mais sur le coup, au moment des combats, il n’y avait plus de clivage religieux, philosophique..Pétain fut lancé par Joffre, avec qui il resta toute sa vie en amitiés… Castelnau, dit lui-même le capucin botté, fut intime de Joffre… Parce qu’au moment des combats, il n’y avait plus que la France et les Français qui comptaient…Cela s’appela l’Union Nationale, l’Union Sacrée…
Des instituteurs socialistes chargèrent aux ordres de colonels qui donnaient leurs ordres et montaient en ligne le chapelet à la main… Des soldats vendéens collaient des insignes du Sacré-Cœur sur la crosse de leurs fusils avant de se faire tuer, des ouvriers parisiens, descendants des Communards, suivaient des officiers catholiques…Cette osmose touchait aussi les civils : à Reims, le maire, le docteur Jean-Baptiste Langlet, libre penseur laïc, travaillait de plain-pied avec ses conseillers municipaux catholiques pour sauver la ville de sa
disparition. Les Rémois restaient sur place, et continuaient à tenir une parcelle de France qui ne devait pas disparaître sous les bombes…Et puis, il y eut soit un miracle, soit un hasard : Les armées allemandes firent une faute stupéfiante. Ils ne surent pas faire avancer deux armées en même temps, à quelques cent kilomètres de distance. Ils se préparaient à cette offensive depuis cinquante ans. Ils ne surent pas la mener alors que l’état-major français commettait faute sur faute. Ces Français, tellement imprévisibles, avaient repris l’offensive, complètement épuisés, presque battus, avec cette furia francese qui est caractéristique de notre peuple. Alors, est-ce que la logique doit expliquer l’histoire ? Faut-il analyser avec des paramètres économiques, sociologiques, intellectuels, une situation pour comprendre
comment elle va évoluer ? Les hasards semblent mener l’histoire du monde. Tout peut arriver ou ne pas arriver. Le rôle de quelques
dirigeants, politiques, puis militaires, va en décider. Et eux-mêmes auront leur destinée soumise à ce même hasard. En ce sens, on peut utiliser l’expression de casino : Rien ne va plus. Cela ne veut pas dire que tout va très mal. Mais que les jeux sont lancés… le Grand Jeu… comme ce mouvement surréaliste qui est parti de Reims. Comme un sourire de l’ange au sourire de sa cathédrale. Il explosa en plusieurs morceaux, sur un coup de canon, au début de la guerre. Avant d’être reconstruit.
Matthieu Delaygue