Une nouvelle Histoire se dessine pour notre monde à venir. Elle tiendra compte des nombreuses découvertes scientifiques en passe d’être réalisées. Elle ne croira plus aux grandes idéologies mais elle utilisera toutes leurs théories sans chercher à justifier ni à condamner. Elle voudra surtout définir un nouvel humanisme pour notre société de plus en plus exigeante envers ses individus.

La pulsion vitale
Un agent secret avait encore quelques heures à passer dans la capitale d’un pays hostile avant de se diriger à l’aéroport et rentrer en France. Tout s’était très bien passé. Il avait obtenu les renseignements recherchés et recruté de nouveaux agents sur place. Mais soudain, il se rendit compte qu’il ressentait un terrible ennui : la tiédeur de la tranquillité. Il se décida de réagir. Il lui restait encore quelques deux cent minutes avant de prendre son avion. Il se dirigea vers le quartier louche de la grande ville, il trouva quelqu’un d’encore plus improbable, et de fil en aiguille, il acheta une œuvre d’art religieuse interdite à la vente, et encore moins à l’exportation. Il la glissa sous sa chemise… Il eut enfin son frisson d’adrénaline en passant devant les douaniers qui le regardèrent de l’air froid mais indifférent qu’ils réservaient aux touristes sans histoire. À quelle logique avait obéi ce brillant officier supérieur qui venait de jouer sa vie, et de compromettre au passage sa mission ? À aucune. Si ce n’est à un instinct illogique se trouvant dans tout système humain, hors de tout raisonnement rationnel et de toute sagesse.

Les nouvelles prises en compte des systèmes complexes
La cybernétique, la science des systèmes complexes, a été fondée par deux chercheurs s’étant rencontrés à un dîner par le hasard le plus pur. On était en 1942. L’un était un ingénieur chargé de trouver pourquoi les systèmes de défense antiaérienne avaient des failles aléatoires non expliquées. L’autre un neurologue spécialiste du même type de défaillance dans le cerveau humain. En 80 ans, la plupart de nos systèmes informatiques, industriels, bancaires, politiques, militaires, ont pris en compte les analyses cybernétiques afin de bâtir leurs stratégies de gestion, d’attaque et de défense. La probabilité infime, l’imprévisible, le non connu de l’étrange sont devenus des paramètres complexes de
nos analyses, et du coup, de notre méthode de vivre et de raisonner. Les croyances binaires, vrai ou faux, les philosophies renvoyant à des règles morales binaires, bien ou mal, les esthétiques se fondant sur des règles que l’on applique ou à l’opposé, mais en symétrique, que l’on refuse, sont en train de vivre leur déclin. Elles ont été dépassées par la science de la même façon que celle-ci avec Galilée a autrefois révolutionné la théologie occidentale en démontrant que le Soleil ne tournait pas autour de la Terre.

Grâce aux découvertes de la physique quantique, on sait de nos jours qu’un électron est vivant et capable de raisonnement et d’empathie. On admet que la matière est vivante, possède donc des comportements rationnels et d’autres moins logiques. On ne peut plus opposer
systématiquement ce que l’on appelle les sciences dures des sciences dites molles. Les sciences dures étant celles de la vérité et de ses évidences logiques, comme la physique et les mathématiques. Tandis que les sciences molles étaient l’histoire, la littérature, la philosophie… Notre perception des savoirs est donc en train de se modifier. Au cours des prochaines décennies on sortira du binaire – vrai ou faux – pour aborder les faits historiques avec d’autres paramètres et d’autres systèmes de pensée. Cela pourrait nous mener à faire des découvertes historiques, archéologiques, acoustiques1 tout à fait nouvelles et importantes. Avec des raisonnements qui ne seraient plus de simple
logique rectiligne, – A entraine B qui entraine C – mais circulaires – par exemple A, B, C sont des acteurs d’un même jeu de rôle et vont modifier leurs natures pendant ce même jeu . On commence souvent à faire référence à ce que l’on appelle un temps long opposé à un temps court, ces deux termes ne représentant pas le concept habituel de long et court terme. Le temps long consiste plutôt à mélanger plusieurs temps à la fois et plusieurs rythmes, il aborde des fréquences auxquelles nos raisonnements historiques ne nous ont pas encore habitué. Et cela modifie progressivement nos façons d’écrire, de raisonner, et de présenter. À cela viennent s’ajouter les recherches en cours, et les découvertes
sur les mondes virtuels, sur la biologie, la neurologie, l’optique et l’acoustique. On admet de mieux en mieux que l’on se heurte régulièrement à des paramètres inconnus de ce qui peut être l’irrationnel du monde. Les notions de mystère et d’incohérence Comment expliquer les vies des grands mystiques, ou les faire rentrer dans un ensemble cohérent d’une civilisation rationnelle ? Faut-il opposer le destin de Sainte Thérèse de Lisieux à celui du Président Fallières ? Comment les rattacher à un même contexte de l’Histoire de France ? Et où inscrit-on alors Rimbaud et Guillaume Apollinaire ? Faut-il penser qu’ils participaient de la même volonté de faire le bien pour leur société et leur civilisation, ou bien avaient-ils des choix réellement différents ?

Pourquoi y a-t-il eu le temps des cathédrales, au Moyen-âge ? Pourquoi Napoléon III accepta-t-il de faire la guerre à l’Allemagne en 1870 alors qu’il n’y était pas favorable ? Pourquoi Hitler a-t-il envahi la Russie alors que Staline lui donnait toutes les fournitures qu’il désirait et que la moindre des logiques était de ne pas mener une guerre sur deux fronts ? Pourquoi le Président Nixon enregistrait-il toutes ses conversations, même les plus dangereuses pour son avenir ? Aucune logique ne peut expliquer ce qui est absurde. L’Histoire, c’est aussi cette poésie de l’insensé. C’est peut-être celle-ci, la cause suprême de tous ces drames que l’on appelle guerres, crises internationales, crises économiques… L’invasion de la Russie par la Suède au temps de Charles XII est aberrant. L’invasion des Malouines par l’armée argentine en 1982 est tout aussi déraisonnable. Quant à la Première Guerre Mondiale, elle a eu pour origine un groupe de nationalistes serbes qui voulait récupérer pour leur roi quelques vallées des Balkans sans aucun intérêt stratégique, et cela mena trois cousins, portant en eux les mêmes valeurs, à faire entretuer leurs troupes. En dehors de ces absurdités, comment expliquer dans nos cadres habituels de raisonnement certains faits hors de toute norme ? Comment expliquer la destinée de Jeanne d’Arc révérée jusqu’au Japon ? Ce qu’elle raconte des apparitions de Saint Michel et de l’arbre aux fées rappelle les rituels vaudous. Les réponses à son interrogatoire reprennent des formules occultes. Comment expliquer les prophéties de Saint Malachie sur les papes ? Quel est le rôle de la spiritualité et de ses mondes occultes sur le destin du monde ? Toute la politique internationale n’est-elle que géopolitique rationnelle ? Pourquoi des généraux et des dirigeants de la Seconde Guerre Mondiale étaient-ils persuadés d’être la réincarnation de personnages ayant participé à d’autres épisodes de l’Histoire ? À titre d’exemple : le général Patton était persuadé d’être la réincarnation d’un général de Napoléon et d’avoir déjà combattu en Tunisie au temps des Guerres Puniques. Le général Patton était-il fou ? C’était simplement le plus brillant des généraux américains.

Géostratégie et forces secrètes
Ce que vivent les Ukrainiens et les Russes à l’heure actuelle est explicable par une foule de raisons géostratégiques : richesse faramineuse des sous-sols de l’ex U.R.S.S., mise en place d’une alliance Russie-Inde-Chine, développement d’une économie hors de la zone dollar, utilisant les routes terrestres pour relier l’Asie, l’Europe et l’Afrique… Désir de la Russie de retrouver ses zones d’influence en Europe centrale et des pays Occidentaux d’étendre l’Union Européenne le plus loin possible. Mais on ne peut oublier le facteur humain, la haine qui s’est établie pour des raisons historiques entre deux pays qui étaient frères de combat contre l’OTAN dans les années 1970.
Mais pour aller plus loin dans la réapparition de cette haine, il faut se demander ce qui a pu pousser Staline à faire mourir de faim des millions d’Ukrainiens dans les années 1930 ? L’histoire serait-elle causée par l’instinct de meurtre qui biologiquement est inscrit en nous ? Est-ce là le péché originel de la Bible ? Le fruit défendu de l’arbre de la Connaissance ? L’explication du meurtre de Caïn ? L’essence de la tragédie grecque, où les Troyens vont courir vers leur mort collective en refusant de rendre la belle Hélène au frère d’Agamemnon, où Antigone va transcender
le droit public en voulant donner une sépulture à ses frères maudits à jamais par leur oncle ? Dès que le communisme est tombé en Russie, le préfet de police de Moscou, les autorités civiles et le clergé ont lancé une malédiction sur les assassins du Tsar et de sa famille qui ont été déclarés saints et martyrs. Et il ne s’agissait pas de perpétuer une vieille tradition folklorique russe pour satisfaire le côté romanesque de l’âme russe. Si l’on peut constater que les explications logiques ont malgré tout une immense valeur rationnelle pour analyser l’Histoire et tout ce qui est politique, doit-on refuser pour autant l’idée que l’on habille souvent de motifs logiques ce qui ressort de l’extraordinaire dans l’histoire des peuples ? C’est-à-dire de choses qui ne viennent pas de la logique et que l’on ne peut pas comprendre. Les comprendra-t-on un jour ? C’est l’hypothèse optimiste que l’on retrouve dans le sens de l’Histoire hégélien : nos connaissances s’améliorant avec le temps, viendra un jour où le monde et ses mystères seront entièrement expliqués. Mais il peut y avoir une autre hypothèse : nous n’avons pas et nous n’aurons jamais les capacités de comprendre totalement le monde qui nous entoure et qui peut-être nous dirige parce que supérieur à nous. C’est un des drames profonds de l’analyse historique : ne pas pouvoir tout comprendre. Et dans une version pessimiste : savoir que l’on ne saura jamais. L’analyse des faits historiques en est d’autant plus passionnante parce qu’il s’agit d’aller chercher le plus grand nombre de causes à une multitude de
faits dits historiques. D’une part, on n’a jamais entre les mains le dossier complet de ce qui s’est passé à tel endroit à telle date. Il faut donc émettre des suppositions. Faire des choix au mieux de ce que l’on peut donner à titre personnel face à un monde où l’inconnu est encore le roi du monde.
Une Histoire polymorphe
C’est peut-être pour cela qu’en Histoire, il n’y a souvent pas une seule vérité mais plusieurs. Un exemple entre autres : Le général de Gaulle a-t-il eu tort d’arrêter la Guerre d’Algérie dans les circonstances que l’on connaît, ainsi que le détaille dans ses ouvrages très structurés Henri-Christian Giraud ? N’était-ce pas la seule voie possible comme le plaident avec passion ses défenseurs et anciens ministres tel Alain Peyrefitte ? À les lire, on ne peut qu’apprécier les arguments respectifs pourtant diamétralement opposés. Cela prouve bien que la vérité a plusieurs visages, et que la logique en Histoire est à multiples dimensions. On entre alors dans le domaine de l’aléatoire, de la tragédie et du destin. L’histoire n’a plus de sens, mais une foule de récits qui s’enchevêtrent, comme des mots dans une poésie surréaliste s’en allant vers les
chemins de l’incertain. Et ceux-ci sont peut-être une voie vers ce que l’on appelle l’absolu ou la vérité.

Matthieu Delaygue