La Renaissance consiste à franchir un fleuve. Celui qui sépare le monde collectif du Moyen-âge pour arriver au monde individualiste de l’homme moderne. C’est ce que l’on a appelé l’humanisme. Mais il ne faut pas interpréter ce terme d’humanisme au sens qu’on lui prête de nos jours : il ne s’agit pas des Droits de l’homme, mais du début de sa liberté culturelle, uniquement. C’est le retour à la culture antique, le début de l’esprit scientifique, la fin de la puissance scolastique, et de la prédominance culturelle du Nord de l’Europe sur la partie Sud. Car la Renaissance a été lancée par les papes italiens, en réaction à la rigueur gothique. Et cela plaira tellement peu à l’Allemagne du Nord qu’elle fera rupture avec le pouvoir spirituel de Rome pour créer le Protestantisme, beaucoup plus austère.
La Renaissance est une ouverture vers le soleil, mais non pas sur la démocratie. Elle sera marquée par l’émergence des condottieri, des tyrans, et par le triomphe de l’Inquisition. Loin de s’adoucir au contact de l’Antiquité, les mœurs vont se passionner jusqu’à l’extrême violence. C’est la rançon de l’individualité : elle est moins protégée que l’homme encadré par un système féodal. L’homme devient seul, isolé, face aux Dieux et à son art, il acquiert une beauté tragique et aventurière, qui n’est plus celle d’un chevalier de la Table Ronde, en quête du Graal, mais celle d’un huomo universale, à la recherche de la pierre philosophale, de la connaissance universelle. Il ne faut donc pas traduire huomo universale par l’homme qui aime l’univers entier.
Même l’art de la guerre a changé. Même Lancelot et Perceval ne résisteraient pas au feu d’une mitraille bien ajustée par un capitaine d’artillerie doué en balistique. Il faut donc mener des batailles où la manœuvre devient prépondérante. Le coût de l’artillerie est tel qu’il faut des banquiers internationaux pour la financer. Le règne du capitalisme financier s’impose lui aussi.
Dans de telles conditions, seul le chef de guerre conceptuel a des chances de gagner des batailles. À condition que son prince ait pu lui donner des armes modernes. La Renaissance verra la lettre de change, la comptabilité à partie double, le commerce et le prêt se développer. On ne croit pas tellement à la valeur travail, mais à celle de l’or, qui arrive en abondance des Amériques découvertes par quelques aventuriers de génie, financés par une reine de génie, Isabelle la Catholique.
La Renaissance, c’est ainsi une longue histoire d’amour entre des princes intelligents, des bourgeois entreprenants, et des aventuriers qui transforment l’esprit chevaleresque en esprit aristocratique et cosmopolite. Cela sera tout le drame du Don Quichotte de Cervantes. Le terme machiavélique sera créé à partir du nom d’un autre écrivain qui dans son livre Le Prince, donne des conseils de stratégie méta politique à son souverain. Il écrit noir sur blanc des méthodes de manipulation simples.
Le Prince est lié avec ses sujets dans un rapport de force et d’intelligence, et non plus par la grâce de Dieu. C’est la conséquence en politique de l’affirmation de la pensée individualiste : Tout devient jeu de stratégie, avec des plans d’analyse décisionnelle. La religion elle même ne protège plus l’individu faible face à la force du riche et du puissant. D’ailleurs on va bientôt découvrir que l’homme n’est pas le centre de l’univers, avec des planètes qui tournent autour de lui, sur une terre plate et fixe. On redécouvre ainsi ce que Ptolémée connaissait déjà : l’homme a un destin de tragédie, et il se trouve seul à
devoir affronter son destin. Le fatum de la Rome ancienne réapparaît. Cela sera bientôt le début de l’ère moderne, et
de la transformation de la matière, et de la machine qui travaille plus vite que l’homme. Que reste-t-il alors de l’huomo universale ? Un conquérant, un exploité, un exploiteur, un libre penseur, un mystique à la recherche de Dieu, un raisonneur, un chercheur et un persévérant… La Renaissance marque ainsi le début de notre époque moderne.
Matthieu Delaygue