Pétain, le bouclier, de Gaulle, l’épée, disait-on durant l’Occupation pour expliquer la différence de politique entre le vainqueur de Verdun et son ancien capitaine. Le Président Laval souhaitait, quant à lui, la victoire de l’Allemagne pour sauver l’identité de la France. Parce qu’il croyait à la ressemblance des choses, à la supériorité de la négociation sur la confrontation. Parce que tout se vaut, puisque tout se fond rapidement dans la même terre, pour se décomposer dans la même nuit : il finira fusillé pour Haute trahison. Qu’est-ce que l’identité française alors que ses définitions sont opposées selon nos idéologies politiques ?
Y a-t-il les nationalistes, les patriotes, d’un côté, et de l’autre les mondialistes, les capitalistes, puis les racialistes ?
Faut-il se demander qui avait raison entre Armagnacs et Bourguignons ou dans la bataille d’Hernani ? L’Histoire est-elle le dernier réflexe archaïque d’une espèce humaine en voie de mutation vers une mondialisation intelligente, où le tecnos remplacera le logos ? C’est mal parti : Le tecnos commet des erreurs. Le système informatique de la C.I.A. avait toutes les données pour prévoir la destruction des Tween Towers, mais il ne sut pas les traiter intelligemment. À l’identique, les chaînes de traitement des opérations financières sont dans l’impossibilité de transmettre aux banques et aux États de percutantes données de synthèse dans une seule analyse de risques qui serait multipolaire. L’analyse ultime des grandes questions de nos sociétés ne pourra donc être réglée par des machines neutres, ou par des sciences dites objectives dont les prévisions resteront souvent fausses parce que toujours trop quantitatives et non intuitives. Nous sommes ainsi obligés de reconnaître que l’information de notre monde moderne n’est pas fiable. Et que le traitement des données est influencé, au cours des
expériences scientifiques, par le testeur et le testé, même si le premier est un prix Nobel de physique et le second un simple électron. Cette incertitude transforme notre crise économique en une angoisse systémique où les prières aux anges semblent plus certaines que les politiques économiques et leurs idéologies sous-jacentes. Dans ce magma invertébré , qui fonce dans un nouveau voyage au bout de la nuit, seul l’art continue sa route impavide. Il a ses propres paradigmes. Ils ne sont pas remis en question dans notre monde affolé. Les outils de création semblent se démultiplier à l’infini. À la différence de l’arbeiter*, l’artiste paraît s’épanouir dans un univers où l’informatique a désacralisé le travail manuel. Des possibilités infinies s’ouvrent à la création, fille par procréation assistée de l’intuition, du génie et du mécène. Nous avons connu les périodes industrielle, romantique, moyenâgeuse… Les générations futures appelleront peut-être notre époque celle de l’Art fondamental.
Le progrès moderne permet déjà d’avoir à son domicile une réplique exacte et changeante de toiles de maîtres. Le mobilier de luxe peut déjà bouger tout seul, s’il est doté d’un programme informatique. Notre intelligence et notre culture vont se développer avec les nanotechnologies. Loin de perdre sa culture, l’élite de l’humanité est en train de consolider ses supports intellectuels. Ceux-ci toucheront l’ensemble des bases de données de nos savoirs. Et les parties les plus obscures, instinctives et médiums de nos cerveaux feront la différence. Elles créeront un monde en perpétuel mouvement. Comme la victoire de Condé à Rocroi, comme la vision de Schliemman devinant à 15 ans que Troie avait bien existé, et qu’il pourrait trouver ses ruines enfouies sous le sol. Art et Histoire sont donc appelés à multiplier leurs interférences. Et l’identité de la France prendra ses marques, de plus en plus, dans ses chefs-d’oeuvre et leurs visions intuitives. Il n’est pas impossible que les futurs hommes politiques soient des artistes, surtout si les modèles sociétaux ne réussissent pas à recréer un plein-emploi de croissance. Le temps des troubadours et des artistes guerriers risque donc de revenir.

*Référence aux mythes aryen et prolétarien du travailleur, en Allemagne et Europe de l’Est, de la Révolution russe à la chute du communisme, en passant par les fascisme et nazisme.
Matthieu Delaygue