Jules Verne est mort à 77 ans, le 24 mars 1905, dans sa maison d’Amiens, au 44 boulevard Longueville, aujourd’hui boulevard Jules Verne. Des milliers de personnes assisteront à l’enterrement, à l’église Saint Martin. L’Empereur Guillaume II d’Allemagne a envoyé le chargé d’affaires de son ambassade de Paris pour le représenter. C’est toute l’Europe qui pleure un de ses grands écrivains modernes. La ville d’Amiens inaugure cette année le parcours Arronax afin de commémorer cet anniversaire.
Une ville, une femme, un seul amour
C’est une promenade qui permet de visiter en 80 minutes les lieux cultes de l’écrivain dans la ville : un chiffre symbolique, un voyage au rythme de l’écrivain et de ses personnages. Il est venu dans la ville au hasard d’un mariage d’un de ses amis. Mais la mariée avait une sœur qui était une jeune veuve. Il en tomba amoureux. Elle avait deux enfants. Ils s’installèrent à Paris. Mais elle voulait revenir dans le Nord. Et puis Jules Verne aimait aussi Le Crotoy avec son air vivifiant. La petite famille décida de quitter Paris, et Jules Verne devint un notable de la ville, un conseiller municipal qui prit à cœur sa mission territoriale. Il aimait son épouse et sa ville, il continua d’écrire ses livres qui le rendaient célèbre dans le monde entier.
Il est le deuxième auteur du monde le plus traduit en langue étrangère, après Agatha Christie et devant Shakespeare. Son œuvre a bénéficié de 4 751 traductions.
Esprit de finesse
Son style est remarquable, pétri d’élégance et de finesse d’esprit. La construction de ses romans est parfaite. D’une logique limpide. Avec du suspens. Avec un sens de l’économie des mots qui le mène à l’essentiel rapidement, dans un esprit de globalité toujours original.
- Tu connais ce jeune homme, M. Aristobulus
Ursiclos ? - Je le connais.
- Te déplairait-il ?
- Pourquoi me déplairait-il, oncle Sam ?
- Enfin, frère et moi, après avoir réfléchi mûrement,
nous pensons à te le proposer pour mari. - Me marier ! Moi , s’écria Miss Campbell, qui partit
du plus joyeux éclat de rire que les échos du hall
eussent jamais répété. - Tu ne veux pas te marier ? dit le frère Sam.
- À quoi bon ?
- Jamais ?… dit le frère Sib
- Jamais, répondit Miss Campbell, en prenant un air
sérieux, que démentait sa bouche souriante, jamais
mes oncles… du moins tant que je n’aurais pas vu… - Quoi donc, s’écrièrent le frère Sam et le frère Sib
- Tant que je n’aurai pas vu le Rayon-Vert.
Perception du futur
Car tout est conceptuel, dans ses livres. Jules Verne est à la fois visionnaire et technique. C’est un juriste qui est passionné par la science moderne. Il vit au 19 e siècle et devine où le monde moderne mènera le 21 e siècle, avec ses guerres, ses idéaux, ses découvertes sur la réalité de la matière et du mouvement. Il sait montrer toute cette énergie des volontés, qui sont généralement des bonnes volontés. Il parle de cette soif de connaissances et de culture qui se signale de façon massive depuis la Révolution industrielle commencée en Angleterre au 18 e siècle, et perpétuée sur tout le continent dès la fin des guerres napoléoniennes. Mais ses personnages ne sont pas que des scientifiques ou des agents économiques. Ils avancent dans la nuit de leurs actions comme des personnages de Tolstoï, en maitrisant une technique de précision comme ceux de Balzac ou de Zola. Ils aiment comme dans les romans de Dickens. Ils ont le sens de l’art et de l’émotion comme des Italiens. Un sens de l’honneur et de l’humanisme qui est celui de Chateaubriand ou de Goethe.
Un classique au temps du romantisme
Et pourtant il n’est toujours pas à l’honneur dans les programmes scolaires ni les facultés de lettres. Ses héroïnes ne sont ni Phèdre, ni Antigone, ni Médée ni madame
Bovary. Ses ouvriers ne font pas de faux mouvement lorsqu’ils sont en haut d’un toit. Ses lingères ne finissent pas sur le trottoir des pauvres parce qu’elles ont trop bu. Elles sont pourtant jolies, mais concrètes et prudentes. Elles représentent l’immense majorité des femmes de la bourgeoisie ou du peuple qui réfléchissent et font des choix de vie raisonnables dans un monde difficile, alors que des phénomènes inconnus vont se développer au fur et à mesure que le roman avance. Les personnages masculins non plus ne semblent pas tentés par Méphistophélès, ni par la remise en question d’un ordre bourgeois auquel ils s’intègrent tous, y compris Passepartout le domestique astucieux ou Neil à l’âme simple dénuée de doute métaphysique. Jules Verne est ce que l’on appelle au 19e siècle un bourgeois. Un royaliste de tendance orléaniste. Ou si l’on veut, un républicain de la droite modérée. Il est pour un gouvernement stable, ouvert sur la paix avec l’Angleterre et l’Allemagne. Les héros pour lui sont les gens sages Il a une grande tendresse pour les savants norvégiens, les commerçants germaniques, les travailleurs méticuleux, les officiers aristocratiques risquant leur vie lors d’expériences extraordinaires. Son appréhension bourgeoise et gentiment hiérarchisée de la vie est une expression parfaite du classicisme alors que l’on est en plein 19 e siècle romantique. Il se rapprocherait plus du naturalisme, avec cependant une réserve : il n’aime pas le monde commun, il préfère un savant pauvre à un ouvrier qui transpire à la tâche ou à un bourgeois qui sirote son apéritif d’un air joyeux dans une guinguette du bord de la Marne. Mais ce qu’il montre, ce sont les principes de stabilité et du devoir en toute chose, et non ceux du déséquilibre et du plaisir.
Finalement, il aurait à choisir un modèle dans les romans de Zola, il prendrait le docteur Pascal. Un sage qui aime la science parce qu’il sait que dans la course du monde, c’est elle qui va mener la danse vers le progrès, et vers la connaissance de l’absolu. Seule la science peut frôler les mystères de l’indicible, les monstres et les vivants du centre de la Terre, menant des troupeaux dans des couloirs obscurs. Seule la découverte scientifique mène au Rayon-Vert.
Le probable improbable
S’il nous ramène à cette poésie des contes et des légendes qui sont aussi à l’origine de l’esprit romantique, c’est parce qu’il ressent les choses indicibles, irracontables, alors qu’il les raconte avec un esprit de gentleman. Il est comme Nerval, comme Camille Flammarion, un initié, parce qu’il se documente sur le monde, il lit tout le temps, il réfléchit et il raisonne en allant jusqu’au bout de l’aventure de la réflexion. Ses lecteurs ne se sont pas trompés. Ils aiment lire Jules Verne, car ils le savent bien, la description du monde futur appartient à des visionnaires de son espèce, capables de bonté, de raisonnement lucide, de voyage dans le raisonnement et dans l’intuition. Jules Verne est le premier écrivain à montrer la puissance terrible d’un sous-marin, l’intelligence combative d’un poulpe géant qui côtoie le sous-marin dans un même espace temps, la rancoeur d’un être pur qui ne veut pas livrer ses secrets scientifiques parce qu’il prévoit que c’est l’avenir du monde qui est en jeu, et il préfèrera mourir en faisant exploser une armée inconnue qui essaye de le cerner, lui et ses découvertes. N’est-ce pas la préfiguration, la destruction d’une bombe nucléaire que le capitaine Nemo a inventées dans son Vingt mille lieues sous les mers publié en 1869 ? Jules Verne, c’est ce génie et cette bonté. Il a fait cette œuvre à la Victor Hugo pour l’essentiel dans un cadre agréable et provincial. En même temps, il s’est consacré à ce qu’il estimait être le bien de sa ville en étant conseiller municipal et au bien de la planète en écrivant des aventures morales. C’est cet homme de bien que la ville d’Amiens tient à remercier en gardant précieusement son souvenir ainsi que les souvenirs de sa vie.
Un chemin dans la ville
Le professeur Aronnax est le second héros principal de Vingt Mille lieues sous les mers. Le capitaine Nemo admire ses travaux intellectuels. Chacun va être à l’autre sa conscience, sa mauvaise conscience, son double altruiste qui pousse l’autre à renoncer à sa destinée dramatique et sincère. Il représente le juste milieu tandis que le nietzschéen capitaine Nemo représente midi le juste.
Le parcours Aronnax nous suggère ainsi une quête et non pas une simple visite de tourisme. Il s’agit de bien comprendre Jules Verne pour bien comprendre son œuvre. C’est un cheminement en 16 étapes dans la ville. En 2,6 km. Chaque étape est accompagnée de son pupitre nouvelle technologie. Vous marcherez dans les pas de Jules Verne. Vous immergerez votre personne dans un monde à la fois moderne et ancien, peuplé de rêves, d’analyses, de souvenirs…Vous visiterez entre autres le Musée Jules Verne et puis, du jardin d’hiver au grenier, son élégante maison du 44 boulevard Longueville. Le monument Jules Verne, square Jules Verne, a été sculpté par Albert Roze et inauguré le 9 mai 1909. Il représente l’écrivain en buste et des lecteurs. Ils lisent Les voyages extraordinaires. Albert Roze était lui aussi d’Amiens. Le Square Montplaisir-Joffre est le point de départ de la nouvelle intitulée Une ville idéale où l’on se retrouve dans un Amiens du futur…le parcours passe aussi par le Cirque Jules Verne dont il fut au Conseil municipal un des soutiens actifs. C’est un thème récurrent et sympathique dans ses livres : la force physique, la magie des lumières, et les animaux vus comme des êtres étranges, capables, dignes de respect. Ils sont souvent comme une liaison avec un autre monde indicible….Vous verrez aussi le Musée de Picardie souvent visité par l’auteur…La Caisse d’Épargne d’Amiens dont il fut un administrateur… et puis, il y a aussi sa tombe, avec la très belle statue d’Albert Roze. Elle est classée aux Monuments Historiques depuis 1995. … Vidéo-mapping, pupitres des totems en sept langues, souvenirs d’un monde disparu mais toujours présent dans nos consciences et dans Amiens… le charme de cette visite en 80 minutes est aussi que l’on retrouve cette ambiance et cet amour de la vie que détenait Jules Verne comme un secret des dieux. Le Rayon-Vert permet à ceux qui le voient de voir autre chose.
REPÈRES
ARONNAX, LE PARCOURS JULES VERNE. Office de Tourisme d’Amiens Métropole 03 22 71 60 50
LA REVUE DE L’HISTOIRE N°98 – Printemps 2022