Une nouvelle exposition du Musée Archéologique de l’Oise est consacrée aux découvertes de la dernière décennie dans les Hauts-de-France. Elle est d’une scénographie résolument moderne qui nous sort des sentiers battus. Elle analyse les différentes matières naturelles et organiques utilisées par les habitants du Paléolithique dans cette région. Elle permet de comprendre les relations de ses premiers habitants avec leur environnement. Trois espèces d’hominidés appelés aussi l’homme de Tautavel ont vécu en ces lieux : l’homme d’Heidelberg, puis l’Homme de Neandertal et ensuite nous-mêmes : l’Homo sapiens dont les plus anciens fossiles connus datent de 300 000 ans. L’exposition met en lumière principalement trois matières : le minéral, le végétal et l’animal. Elle mêle dans son approche les différentes époques du Paléolithique et les objets réalisés par nos trois espèces d’hominidés.

Vue de l’exposition temporaire. Scénographie signée Mathilde-Marguerite Bardel – Atelier Tilde ©Musée archéologique de l’Oise – Un Regard Sensible / Nicolas UTTENVEILER

Sur le site d’Amiens-Renancourt, on a découvert une dizaine de figurines, appelées des « Vénus », façonnées dans de la craie. Elles datent du Paléolithique supérieur, de la période Gravettienne. Certaines de ces petites statues sont complètes. On a retrouvé aussi des perles qui servaient de parures . Le site de Moulin-Quignon, dans la vallée de la Somme, avait été déjà fouillé à la fin du 19 e siècle par Jacques Boucher de Perthes. Il a été un des pères fondateurs de la science préhistorique. De nouvelles fouilles en 2016 et 2017 ont mis au jour près de 400 pierres travaillées de toute nature, dont 5 bifaces. Cela fait remonter de 100 000 ans plus tôt, c’est-à-dire à – 650 000 ans, l’occupation de ce site par l’homme. Les bifaces sont réalisés par façonnage progressif d’un bloc en détachant des éclats sur ses deux faces. Ils présentent souvent une symétrie. L’autre manière de travailler la pierre était le débitage qui consiste à séparer dans un bloc un éclat de pierre à l’aide d’un percuteur de pierre ou de bois, et de s’en servir comme outil. C’était une manière plus élaborée de travailler la pierre et elle s’affina au fil du temps, au Paléolithique moyen et supérieur où elle permettait de fabriquer des lames et des pointes.

Découvertes sur les pierres
La majorité des vestiges sont des objets en pierre parce qu’ils se conservent le mieux. Dans cette région du Nord de la France, la roche la plus utilisée pour tailler des outils est le silex. Mais il y avait aussi la craie de Picardie et le quartz de l’Oise. Des outils taillés dans ce quartz sont présentés pour la première fois. C’était une matière relativement rare en ces lieux. On l’utilisait pour son esthétique. De nombreux sites ont montré une spécialisation de la production : façonnage de bifaces, production d’éclats, de lames, de pointes. Cela traduit des savoir-faire techniques hérités de traditions culturelles différentes. Certaines pièces pouvaient avoir un manche en bois ou appartenir à un outil plus complexe composé lui aussi de matières périssables.

Vue de l’exposition temporaire. Scénographie signée Mathilde-Marguerite Bardel – Atelier Tilde
©Musée archéologique de l’Oise – Un Regard Sensible / Nicolas UTTENVEILE

Utilisation de l’animal
On a trouvé des restes de fourrures, d’os et de moelle. La moelle de l’os servait à se nourrir, les os permettaient de fabriquer des petits objets du quotidien, harpons, aiguilles, pointes de sagaies, propulseurs… Parfois, ceux-ci sont décorés par des gravures d’animaux. On se servait aussi des os pour se chauffer. Même lors des périodes glaciaires, le gibier était présent en Europe. Du mammouth laineux aux
chevaux de la taïga et aux insectes. L’analyse des ossements découverts permet d’identifier les espèces et d’appréhender une partie des activités à
partir de l’animal : travail de la peau, transformation des dents, constitution de parures. On couple l’analyse archéologique aux analyses technologiques et tracéologiques du mobilier lithique.

Aigle de Bonelli. Aquila Fasciata. ©Musée archéologique de l’Ois

On a trouvé aussi des coquilles. On utilise alors la malacologie qui est la branche de la zoologie consacrée à l’étude des mollusques présents dans tous les types de milieux des plus arides aux plus aquatiques. Les assemblages de coquilles récoltées dans les sédiments donnent de bonnes indications sur les paysages anciens, les habitats et leurs évolutions avec les modifications de l’environnement au fil du temps. Dans le Nord de la France, les périodes froides et sèches sont pauvres en mollusques, à l’inverse des périodes plus douces et humides. On mesure le carbone 14 de granules calcaires produits par des vers de terres présents au niveau archéologique. Les repères en dates ainsi trouvés sont comparés avec les résultats sur les variations climatiques enregistrées dans les glaces du Groenland et dans des stalagmites. Le site de Caours, dans la Somme a été fouillé sur cinq niveaux. Il a permis d’obtenir des données uniques sur les moyens de subsistance des chasseurs nomades néandertaliens du Paléolithique moyen. Des accumulations osseuses sont constituées de restes de cerfs, de daims, de chevreuils, d’aurochs et de rhinocéros des prairies. Il s’agissait certainement d’un site de boucherie, où les animaux étaient amenés à la découpe, une fois abattus. Les plus lourds étant apportés déjà découpés en plusieurs morceaux. À proximité immédiate, on a découvert des petits postes de taille du silex où ont été produits les outils de découpe.

Les anciens végétaux
Les connaissances sur l’environnement végétal des Hommes préhistoriques se sont amplifiées ces dernières décennies grâce au développement de différentes sciences : la palynologie ou étude des pollens, l’anthracologie ou étude des charbons de bois, la carpologie ou étude des graines, l’entomologie, ou étude des insectes. Chacune de ces méthodes peut être mise en œuvre selon le degré de conservation des restes trouvés sur le site archéologique. L’analyse d’une dent d’un jeune Néandertalien a montré des traces de composés chimiques que l’on retrouve dans des plantes médicinales comme la camomille ou l’achillée millefeuille. Ces plantes ont un goût amer et désagréable. Il s’agit bien d’un médicament. Le gisement paléolithique de Waziers, dans le département du Nord, a permis de retrouver des pollens et des graines qui renseignent sur les paysages successifs dans lesquels les populations évoluaient. Les lieux étaient occupés voici 130 000 ans. On a trouvé des restes organiques de pollens, des mollusques, des restes fauniques, des insectes et des bois. Il a été ainsi possible de reconstituer finement les paysages et la végétation locale qui poussait à Waziers durant le dernier Interglaciaire appelé l’Éémien. Les analyses menées (palynologiques et malacologiques) dénombrent plus d’une centaine de taxons d’arbres, d’herbacés et de mollusques. Elles ont permis de retracer l’évolution du climat et des lieux entre 140 000 ans et 110 000 ans avant notre ère. On passe d’une prairie sèche de type arctique à une forêt boréale de bouleaux, de pins et d’ormes, puis à une forêt marécageuse vers -120 000, avec noisetiers, chênes, aulnes et charmes. On voit bien le passage de la fin de la glaciation à la période tempérée de l’Éémien. En voyant tous ces vestiges conservés sous terre plusieurs dizaines de milliers d’années, on ne peut être qu’impressionné par les progrès de l’archéologie scientifique. À l’autre bout de la chaîne, loin dans le temps, certains de nos ancêtres nous impressionnent tout autant. Ils luttaient contre le froid et la mort en observant le monde, en tirant des substances de tout leur environnement, ils fabriquaient en même temps des objets d’art, ils cherchaient ce qui pouvait les faire survivre au mieux, avec, inscrit au fond d’eux-mêmes le besoin de la transcendance et de la beauté. Se doutaient-ils qu’un jour, on tenterait de reconstruire leurs modes de vie, comme pour les retrouver à partir d’une histoire lointaine mais tellement réelle ?

Herbacé : plante qui n’a pas de tige persistante au-dessus du sol et qui ne développe aucun bois.

Forêt boréale : Elle s’étend actuellement sur tout le centre du Canada, depuis Terre-Neuve jusqu’au Yukon. Les régions boréales se caractérisent par la taïga, qui est composée d’arbres de plus petite taille et d’une alternance de plaines et de milieux humides.

Taxon : entité conceptuelle regroupant tous les organismes vivants possédant certains caractères offrant une classification permettant de les réunir.

REPÈRES

MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE L’OISE 1 rue les Marmousets 60 120 Vendeuil-Caply Tel. : 03 64 58 80 00
De la Préhistoire au Moyen-âge

LA REVUE DE L’HISTOIRE N°98 Printemps 2022