Un château a été construit en 1419 par Vincentello d’Istria. Les troupes de Louis XV ont initié la construction de la citadelle proprement dite en 1769. Depuis, elle n’a jamais été conquise par les armes. Elle est désormais le lieu des touristes et des amoureux de l’histoire. Elle se dresse comme un apaisement de toutes choses, un calme sans combat. Tout autour d’elle, on aperçoit le magnifique paysage corse,
avec la ville de Corte en son contrebas. C’est d’une harmonie saisissante que l’on perçoit chargée d’histoire militaire et de réflexions politiques.

La surveillance du territoire

Elle est la seule des citadelles corses à être bâtie à l’intérieur des terres. Son rôle premier n’est donc pas de résister à une invasion, mais plutôt de contrôler l’île de l’intérieur. L’objectif est stratégique car qui tient Corte, tient le sillon central de la Corse et peut couper les communications entre l’en-deça et l’au-delà des monts. Vincentello d’Istria allait édifier une tour maîtresse carrée aujourd’hui disparue. La construction sera complétée à partir de 1535 par trois tours, une muraille crénelée , puis deux casernes capables de fonctionner avec 70 hommes, leurs minutions, leurs vivres, une citerne d’une capacité de 70 000 litres, et un cachot que l’on peut encore visiter. Vincentello d’Istria mena durant de longues années la résistance à la République de Gênes. Il fut établi vice-roi de Corse, et vassal du d’Aragon Alphonse V. Il installa à Corte le siège de son gouvernement. Il eut une fin malheureuse : en 1434 il fut trahi et livré aux Génois qui le condamnèrent à la décapitation. Mais le fort avait joué son rôle en lui facilitant durant 15 années son autorité sur la Corse.

La volonté indépendantiste

Le 18 novembre 1755, à Corte, une République corse indépendante est autoproclamée. Sa Constitution sera fondée sur la souveraineté du peuple et le principe de la séparation des pouvoirs. Son modernisme, en plein 18 e siècle, allait avoir un retentissement international. Elle prévoyait même le vote des femmes. Quelques années plus tard, elle inspirera la Constitution des États-Unis. Corte sera le siège du nouveau pouvoir, Pascal Paoli en sera le général, c’est-à-dire le chef de l’exécutif, assisté, pour le pouvoir législatif, des consultes, ou assemblées délibérantes, qui se tiendront aussi dans la ville. Une université sera créée, toujours à Corte. Elle durera le temps de la République, jusqu’en 1769. Depuis 1981, elle a repris son œuvre. avec près de 4 000 étudiants sur 4 campus : à Biguglia, à Cargèse et à Corte où est regroupé l’essentiel des installations universitaires et le siège sur deux campus. Le 9 mai 1769, à Ponte Novu, l’armée du roi de France, beaucoup plus importante, bat l’armée indépendantiste et Pascal Paoli est contraint à l’exil. La Corse est rattachée au royaume de France. La famille Bonaparte qui avait soutenu Pascal Paoli se rallie au nouveau régime.

La citadelle nouvelle

Lithographie de Godefroy Engelmann, Vue de Corte, prise du jardin de M. Mariani
/ tirée de Voyage pittoresque de Corse de Adrien Joly de la Vaubignon,1824 Corte, musée de la Corse Inv. 1991.2.446.16 © CdC, musée de la Corse/DR

Les troupes du comte de Vaux occupent Corte. Celui-ci décide de construire une citadelle à partir de l’ancien fort. Tout au long de son histoire, deux points de vue vont s’affronter concernant sa destination : Soit construire à Corte une puissante fortification pour mettre la place à l’abri d’un siège ou d’une attaque par une puissance ennemie. Soit faire de Corte une place forte destinée à recevoir les troupes nécessaires, d’abord pour maintenir l’ordre et
éviter toute insurrection, mais aussi pour se porter au-devant d’un ennemi débarqué sur l’île afin de lui tendre des embuscades. Dans ce cas, pour loger les bataillons, il est nécessaire de construire une grande caserne. A Corte, ces deux principes vont co-exister dans les choix architecturaux qui seront mis en œuvre. Mais il s’agissait tout de même d’une refonte complète du système de défense pour construire une fortification bastionnée. Le premier bâtiment militaire, la caserne Padoue est achevé en 1776. Un des trois quartiers de Corte, e Castellace, est englobé dans le nouvel ensemble militaire. Près de 600 personnes y vivent dans de vieilles maisons. Jusqu’à ce qu’une ordonnance royale du 17 janvier 1830 les déclare d’utilité publique. Les habitants sont relogés dans un immeuble plus loin qui sera surnommé Casa di i trecenti patroni, c’est-à-dire la maison des 300 propriétaires. Le quartier de Castellace pourra donc être rasé et permettra la construction de la caserne Serrurier qui servira d’hôpital militaire. La citadelle de Corte a été un des sites de la Légion étrangère en Corse jusqu’en 1983. Elle est ouverte au public à partir de 1984. De nos jours, elle accueille en ses murs : • Le musée de la Corse, musée régional d’Anthropologie • Le Fonds régional d’Art contemporain de Corse ou FRAC Corse • Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement Corte-Centre • L’Office de tourisme Centru di Corsica. En ces lieux, tout un projet culturel réinvente l’histoire culturelle de la Corse, son passé, son présent, son futur. Il met en lumière la continuité de ce monde
méditerranéen et insulaire, fortement attaché à ses traditions corses, à son esprit venu du fond des âges, puisque le monde corse était déjà considéré comme un univers particulier aux temps de l’Antiquité romaine. Le Musée de la Corse est installé dans la caserne Serrurier et une extension contemporaine. Dans les années 1990, les espaces ont été aménagés par l’architecte Andrea Bruno avec tout un jeu de clarté et de lumières. Il y a deux expositions permanentes (la galerie Doazan et le Musée en train de se faire) et un troisième espace est dédié à celles qui sont temporaires. Le visiteur est invité à poursuivre sa visite dans les espaces extérieurs de la Citadelle vers le château.
Ces espaces ont commencé à être réaménagés et repensés depuis 2019 à l’occasion des 600 ans du château et dans la perspective d’une requalification globale du site, un projet mis en lumière au sein de l’exposition temporaire en cours A citadella di Corti, une citadelle pour horizon.

La mémoire de l’Armée française
Le Musée de la Corse a entamé voici deux ans une précieuse collaboration avec le Service historique de la Défense. Pour l’exposition E figure di a Corsica, symboles et allégories de la Corse, celui-ci avait prêté une copie authentique de la constitution de la Corse en 1755 et des actes fondateurs de l’ordre de chevalerie créé par Pascal Paoli. Le visiteur avait également pu découvrir des documents concernant
l’aventure de Théodore de Neuhoff entre 1736 et 1741, les révoltes des partisans de Pascal Paoli contre Gènes, puis contre les Français, avec l’histoire de la famille Bonaparte avant 1794. Le Service historique de la Défense possède en effet toute une série* concernant l’Ancien Régime. Un ensemble de dossiers et de correspondances, sous forme de registres reliés, correspond ainsi à la Corse. Les registres à manipuler avaient une épaisseur de 10 à 15 cm, certains étaient en taille A4, d’autres étaient de plus petit format. Et pour exposer certains de ces documents, on se trouvait confronté à une difficulté : prêter les originaux obligeait à tout un travail et un
transport avec un coût d’assurance aux prix élevés. Un arrangement moins coûteux fut donc établi entre le Musée et le Service Historique : Les registres concernés ont été déliés, rénovés, puis reliés aux frais du Musée pour être présentés dans l’exposition.

Anonyme. Plan de la Ville, Citadelle et Château de Corte Pour servir au projet de 1781 et pour faire connaître le tracé de la nouvelle enceinte Papier aquarellé, 1781, Service historique de la Défense, Vincennes Inv.GR 1VH 672 27 © SHD

Les archives du Service Historique de la Défense sont d’une richesse remarquable en ce qui concerne la citadelle de Corte : 117 mémoires de plusieurs dizaines de pages, et contenant 195 plans et croquis, dessinés et aquarellés à la main. Ils ont été rédigés chaque année par des officiers du Génie de la garnison. 106 rapports annuels entre 1769 et 1875 ont été conservés. Il manque seulement, pour cause de révolution, les années allant de 1789 à 1809. En tout, ce sont 6 cartons d’archives qui sont spécifiques à la citadelle de Corte. Les archives du génie militaire étaient auparavant consultables dans chaque département. Gérard Giorgetti commença à les étudier dans le dépôt des archives de l’armée de Terre dans la Citadelle de Bastia dans les années quatre-vingt-dix. Depuis leur transfert à Paris, il a
poursuivi l’inventaire et l’étude de la collection de plans et mémoires consacrés à la place forte de Corte.
On y trouve aussi tous les détails des constructions militaires : casernes, bastions, magasins à poudre, pavillons d’officiers, vie de la garnison, relation avec la population civile, réserves à prévoir en cas de siège, ainsi que les ordonnances royales prises au sujet de la citadelle. D’autres documents donnent des indications sur les fortins de Ponte Novo, Vivario, Prunelli et Vizzanova. On perçoit ainsi la vie quotidienne de ces officiers ingénieurs et de leurs soldats dans une suite continue de travaux et d’entrainement militaire. À Corte, on ne rencontre pas de grandes dates de batailles, mais une autre définition de l’art militaire, à la Sun Tzu, lorsqu’il écrit dans L’Art de la Guerre,
que la meilleure bataille gagnée, c’est celle qui n’a pas eu lieu, parce que l’adversaire, a compris qu’une attaque serait un échec. Dans cette citadelle, nous sommes dans la logique de la guerre de forteresse. Le second type de guerre étant la guerre de mouvement. On a souvent du mal à imaginer ce que veut dire une attente en termes militaires. C’est non pas un repos, mais un état de veille, où il faut toujours se sécuriser, travailler, rester vif. La dernière guerre de la France avec l’Italie prendra fin au milieu du 20 e siècle. La Légion étrangère allait occuper la citadelle jusqu’au début des années La vie quotidienne était rodée. Tout avait, certainement été prévu. Les ingénieurs du génie qui devaient avoir aussi organisé un certain confort dans les logis. Le système d’organisation devait être réglé parfaitement jusque dans les moindres détails. Cela se sent d’ailleurs encore aujourd’hui. L’architecture, la pensée tactique a dû être puissamment réfléchie. Durant plus de cent ans, ces soldats vont améliorer les défenses, doter la citadelle de tous les perfectionnements techniques. Avec ce paysage superbe en toile de fond. C’est aussi de là que vient cette sensation romantique qui ressort de la visite de la citadelle et qui est magnifiée par les nouveaux arrangements. Bien sûr, on pourrait se demander si cette citadelle et cette garnison n’étaient pas d’un coût disproportionné par rapport à leur utilité. Était-elle réellement nécessaire ?
Certes, les fortifications épargnent le sang. Mais cette citadelle, faite de pierres, de chemins de ronde, de canonnières, correspondaient-elles à un véritable danger ? Il faut alors penser que la Corse n’a été vaincue par les armées du roi de France que par l’avantage du nombre et de l’artillerie. Les plans de la citadelle sont imaginés juste après de violents affrontements avec les indépendantistes. Et la France allait bientôt prendre les chemins de la Révolution et de l’Empire. C’est dans ce contexte que l’on peut percevoir l’utilité d’avoir une forteresse au centre de l’île, c’est la seule qui n’est pas sur la côte. Elle pouvait servir de base de soutien en cas d’invasion par exemple par les Anglais. La Citadelle de Corte est ainsi un des fleurons stratégiques de l’histoire de la Corse. Un de ses repères qui rappelle l’enjeu de cette Île de la Beauté au cœur de la Méditerranée, et qui n’a jamais été à l’abri de différentes menaces.

REPÈRES
Créé le 1er janvier 2005 par regroupement des anciens services historiques d’armées, le Service historique de la Défense est le lieu de conservation des archives des ministères chargés des affaires militaires depuis l’origine. Ressources documentaires de premier ordre, ses collections (450 km d’archives remontant au XVII e siècle, près d’un million d’ouvrages), représentent une part de la mémoire de la Nation. Aujourd’hui conservées à Vincennes, les archives du génie militaire étaient auparavant consultables dans chaque département.

LA REVUE DE L’HISTOIRE N°94 – HIVER 2020-2021