Dans une très jolie exposition à la Maison Vacquerie, Musée Victor Hugo à Rives-en-Seine le peintre Olivier Desvaux nous présente le personnage de Cosette. Une jeune enfant. Une jeune fille déjà sage, comme si elle percevait la joie du monde ainsi que sa tristesse. Le talent de Cosette est de révéler tout ce qui est de puissant dans la vie. Le talent de l’artiste va être de rejoindre celui de Cosette dans toute sa vérité sensible et colorée.

Un drame annoncé
Victor Hugo a participé au bouleversement de la versification et à la création du roman moderne. Sa générosité d’âme lui fait voir le nouveau drame social qui va bouleverser l’Europe : la pauvreté ouvrière, aussi cruelle que l’esclavage, peut-être encore plus, si l’on considère que l’on nourrit par intérêt un esclave, alors qu’il n’y a pas forcément intérêt à nourrir un pauvre, soi-disant libre, s’il n’est pas productif.
L’histoire de Jean Valjean, de Fantine et de sa fille Cosette dans Les Misérables marque un véritable tournant de la littérature française. Désormais, le peuple sera toujours présent dans l’inconscient des écrivains de notre pays, la nécessité de justice aussi, avec le souci de décrire la réalité telle qu’on est obligé de la voir. Cette perception touchera désormais tous les écrivains, toutes opinions politiques confondues, de Céline à Camus, de Zola à Malraux. C’est le grand discours que notre littérature exportera sur tous les continents durant deux siècles. En Angleterre, Dickens allait montrer toute la misère de l’enfant d’ouvrier ou du bourgeois pauvre, fouetté par des maîtres pervers satisfaisant leur méchanceté sous prétexte de morale. En France, en pleine période romantique, à une époque où l’on s’intéressait plus aux amours d’une jolie comtesse qu’au malheur d’un enfant, Victor Hugo lançait avec le personnage de Cosette un colossal pavé dans la mare, mais d’une autre nature que ses équivalents britanniques Oliver Twist et David Copperfield.

Cosette et l’eau vive
Qui est Cosette ? Une petite fille comme les autres que le hasard social a rendu pauvre et orpheline. Des vautours s’emparent d’elle. Cosette n’est ni une sainte ni une star. Dans la situation difficile de son esclavage, elle ruse, elle ment, elle rêve. Elle est déjà vaincue. Les Thénardier seront ses bourreaux parce qu’ils sont des bourgeois ratés qui veulent une esclave pour la haïr, puisqu’ils ont trouvé quelqu’un de plus faible que leur famille dans la hiérarchie sociale. Zola aurait fait de Cosette une imbécile chlorotique ou une future prostituée. Victor Hugo en fait le modèle de la victime. Cosette aux longs cheveux blonds est une ancienne miséreuse qui entrera dans la haute bourgeoisie, parce qu’elle a été aidée, éduquée, protégée. Cette enfant sensible participe à plusieurs mondes : dans la forêt, affolée, elle porte un seau d’eau et elle voit des revenants. Terrorisée par la Thénardier, elle se réfugie dans le mensonge mais aussi dans l’amour, avec un petit objet de cuisine qu’elle emmaillote et transforme en poupée. C’est une vraie fille, elle a tous les talents de l’intelligence, de l’imagination, et la peur au ventre parce qu’elle est encerclée par les forces du mal. Mais à la différence des personnages de Dickens et plus tard de Zola chargés de refléter la misère, Cosette est porteuse d’une mystique. Victor Hugo lance une cosmogonie de personnages et de situations extrêmes, il montre la folie, la révolte, l’amour à la passion, la guerre et le poids de l’argent, mais ces acteurs du monde, ce monde rempli d’acteurs, ne trouve son espérance que dans la réhabilitation de Cosette dans son bonheur. Elle est le point culminant de la symphonie hugolienne, elle représente le phénomène de justice absolue. Elle dépasse la simple morale. Elle est proche du Christ, à équidistance des riches et des pauvres, dans un autre monde. Gavroche est une grande âme qui mourra brutalement lors d’une émeute. Cosette vivra, parce qu’elle représente l’espérance qui renaît de ses cendres, quel que soit le drame.

« Cosette leva les yeux, elle avait vu venir l’homme à elle avec cette poupée comme elle eût vu venir le soleil. Elle entendit ces paroles inouïes : C’est pour toi, elle le regarda, elle regarda la poupée, puis elle recula lentement et s’alla cacher tout au fond sous la table dans le coin du mur. » Les Misérables. Victor Hugo.

Maison Vacquerie – Musée Victor Hugo©JF Lange

Victor Hugo a su créer un personnage de jeune fille à la destinée exceptionnelle, mais Cosette est comme toutes les autres enfants, car elle n’a rien de sublime à titre particulier, même si le livre racontant son histoire est sublime. Elle touche au-delà de la conscience, elle va au fond de l’âme et de la nuit qui entoure le monde, pour l’éclairer avec une inspiration des plus subtiles, mêlant romantisme et réalisme, faiblesse et force, passion et raisonnement, monde du certain et monde de l’incertain. Cosette est une médium. L’eau de son seau est comme celle d’un nouveau baptême qui va la sauver et lui donner une image sainte à aimer : sa nouvelle poupée inscrite dans le bonheur. Dans la forêt, avec son seau, elle voit des ombres vivantes, elle aperçoit les morts. Elle se rend compte des forces obscures des mondes parallèles car c’est un personnage hugolien. Elle n’est pas matérialiste. C’est une âme et un esprit. Victor Hugo mène ses combats sociaux dans un autre cadre que celui du réalisme ou du naturalisme. Il dépasse les enjeux sociaux parce qu’il les englobe dans un raisonnement spiritualiste. Et c’est dans le cadre de cette recherche dans les mondes parallèles, qu’il intégra toute son œuvre, en montrant que le haut et le bas sont de la même essence, que le sacré et le social participent de la même œuvre, que l’idée et le ressenti soutiennent la même fresque.Il n’y a pas de néant, de gouffre, d’immensément vide. La présence du spirituel est partout, confirmée par la poupée medium. Il y a simplement des aveugles, des sourds et des êtres plus ou moins parfaits qui vont ressentir des chocs, des prises de conscience tout au long de leur vie, et vont réagir selon leurs caractères et leurs choix personnels, à ces terribles faits constituant le roman de leur vie.


Hugo au contact d’un autre monde
Victor Hugo croyait aux esprits des morts. À Guernesey il leur parlera lors de soirées où lui et des proches entraient en communication avec l’au-delà. Il fut persuadé d’être en contact avec Shakespeare, Jules César, Dante… Le 19 e siècle
fut aussi le siècle des mystères. De Théophile Gautier à Jules Verne, de l’expérimentation des degrés de perception à celui d’une conscience universelle, ils furent nombreux à mener le parcours. Victor Hugo relata ces expériences, et il se rendit compte de la vision holistique de la vie et que la littérature devait exprimer. Cosette mène ainsi par sa misère et ses angoisses sur les chemins de la connaissance philosophique sans tomber dans les textes complexes, souvent trop
compliqués de la philosophie. Sa pensée pouvait être ainsi lue par tous, comprise par le plus grand nombre, résonner comme un tambour dans l’évolution d’une mentalité moderniste qui allait très loin, à la fois vers le futur tout en racontant le passé, comme si un éternel retour sur soi-même était nécessaire pour avoir une vision littéraire approchant les cimes, les précipices, le plein de la matière et des sentiments, les sommets indicibles et inconnus de la création.

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REPÈRES

MAISON VACQUERIE – MUSÉE VICTOR HUGO. Quai Victor Hugo à Rives-en-Seine, Villequier 76490.
Exposition Cosette de Olivier Desvaux. http://www.museevictorhugo.fr/fr/home/