Du 15 décembre 2023 au 18 mars 2024, au château de Compiègne aura lieu une exposition sur Prosper Mérimée (1803 – 1870).
Un grand nom de l’écriture
Si son œuvre littéraire est moins connue, c’est parce qu’il n’avait pas la fibre romantique à une époque où le monde de l’édition et du journalisme était friand de l’esprit romantique. O, temps ! suspends ton vol, écrivait Lamartine. Mérimée préférait raconter des faits divers, des violences locales, des jolies filles qui étaient furieuses et luttaient pour leurs clans et leurs espaces vitaux. Il était profondément conservateur et ne voulait pas être vaincu par le monde de l’émotion. La jeune fille d’un de ses amis lui demanda de l’héberger à Paris, comme dame de compagnie de son chat, lui dit-elle plaisamment, il lui répondit que son chat lui préférait la compagnie de sa tortue… On sait qu’il eut des amours sérieux avec de jolies femmes, mais il faisait partie de l’école de la discrétion, et non de celle très en vogue, où il faut parler de ses sentiments.
Il fut partisan de la droite conservatrice mais libérale en matière d’économie. Il fut ainsi un soutien de Louis-Philippe, puis du Second Empire. Il avait connu l’impératrice Eugénie en Espagne, alors qu’elle était encore une enfant. Il connut ainsi son apothéose sociale lorsqu’elle épousa Napoléon III. Il devint un ami de la famille, un conseiller très écouté, un sénateur ami de l’ordre. Il sera donc reçu au château de Compiègne comme un intime du couple impérial. L’exposition nous propose, dans les murs mêmes qui le reçurent, de lui rendre hommage et d’appréhender, au-delà de l’écrivain, les aspects divers de ce personnage tout en nuances, tout en variétés. Il a reflété son époque mais il a puissamment contribué à la façonner. Il incarne à la fois sa doxa, son imaginaire et ses exigences culturelles et scientifiques
L’esprit de la vieille France
Il avait certes les idées du pouvoir en place, mais ses écrits montrent en lui un intellectuel non conformiste, à l’abri de toutes les pensées usuelles de son temps. En ce sens il gêne, aussi bien dans la pensée de droite que de gauche, parce que son conservatisme naturel repose sur une solide culture et un réalisme faisant référence à des valeurs de caractères et de sentiments remontant à l’Antiquité. C’est là le fruit de sa solide culture classique, peut-être plus encore fondée sur le grec que sur le latin. Il appartient en ce sens à l’école classique, celle d’un rationalisme certain avec en toile de fond une vieille pensée aristocratique, athée, croyant en la valeur des hommes et des femmes en dehors de tout système, plus attachée aux convenances et aux codes de l’honneur qu’aux règles sociales. Il est juriste de formation et connaît parfaitement l’esprit du droit et des sciences politiques. Mais il aime l’histoire sociale liée aux grands évènements, parce qu’elle révèle de façon intéressante la personnalité profonde et le caractère de ses acteurs. Le 19 e siècle a vu apparaître en France une nouvelle classe sociale qui a pris le haut du pavé littéraire et mondain. Elle était un mélange de vieille bourgeoisie de l’Ancien Régime ayant définitivement accédé au pouvoir grâce à la Révolution et de noblesse possédant toujours plus ou moins ses prérogatives et son aisance financière. Dans cette classe sociale, on trouvait côte à côte Victor Hugo, Alfred de Vigny, Alfred de Musset, Lamartine. Un des plus signifiants parmi eux fut Prosper Mérimée.
Il était issu de la haute bourgeoisie cultivée. Il était riche. Il sera célibataire tout au long de sa vie et il sera, de façon discrète, marqué par de grands amours féminins. À lire ses livres, on voit qu’il aime
profondément les femmes. Ce qui ne l’empêche pas d’admirer la vie amoureuse de César et sa bisexualité. Il sera un des rares auteurs de son époque à l’évoquer. Il aimait aussi les animaux, en particulier les chats et les tortues. C’était un grand travailleur, ce qui l’obligeait à de longues périodes de solitude consacrées à la lecture et l’écriture, alors qu’il était un mondain, aimant sortir dans les salons les plus en vogue de Paris. Il est lancé très jeune dans les cénacles littéraires et politiques par son premier roman, Le théâtre de Clara Gazul. Il était reçu chez Madame Récamier, intime de Chateaubriand, une des trois beautés célèbres du Directoire, avec Joséphine de Beauharnais et
Madame Tallien. Il s’était lié d’amitié avec Stendhal, Ampère, Victor Cousin, Delescluze, Sainte-Beuve,
Girardin, Victor Hugo. Il écrivit aussi beaucoup, et c’est un délice de le lire de nos jours. Non seulement il s’exprime dans un style parfait, c’est lui qui a inventé la fameuse dictée dite de Mérimée, mais la précision de sa prose révèle l’excellent juriste, à la fois rigoureux et rapide dans son analyse. Il a aussi le mérite assez rare d’appartenir à la merveilleuse école classique : grand équilibre de la phrase, mesure en toute chose même pour décrire des faits répréhensibles, sentiments toujours
contrôlés par la raison, et ce calme inné qui était la caractéristique de la vieille noblesse d’épée: le savoir-vivre en toute chose. Dans son expression littéraire, les sentiments sont certes exprimés, le
fantastique est aussi une de ses sources d’inspiration, cependant sans aucun de ces excès dont le
romantisme était friand.
Un homme de la mesure et du Bien
Bien sûr, cette façon de procéder lui valut bien des critiques. C’est plat comme du Mérimée écrira Victor Hugo après s’être promené dans une campagne sans dénivelé… On peut juger de mauvaise foi une telle remarque. Rien n’est plus difficile, au contraire, de raconter un drame comme Sampieru Corso en utilisant le mode classique. L’histoire de cette nouvelle est tragique : un père corse va tuer son jeune fils qui a dénoncé un fugitif auquel sa famille avait donné protection et asile. Question
d’honneur. Question d’absolu. Les mots simples et les phrases sobres utilisées par Mérimée pour
raconter un tel drame parviennent à montrer toute l’intensité sauvage d’une telle histoire. Aurait-il mieux valu à ce sujet utiliser le choc des mots et le poids de l’émotion ? Le classique raconte parfaitement le crime et le sordide, aussi bien que le romantisme, mais sa morale est autre, on pourrait la résumer en une simple phrase : il ne faut pas se laisser impressionner. En revanche, il y a un point commun entre Victor et Prosper : ils ont tous les deux lutté de toute leur âme pour la sauvegarde de notre patrimoine culturel. Hugo par sa célèbre lettre qui fit date, Mérimée par son action bureaucratique où il mena un travail merveilleux. Cet homme mériterait d’avoir une rue
à son nom dans chaque ville, dans chaque village de France. Et comme il est agréable de lire ses carnets de voyage où il détaille les richesses architecturales d’un vieux pays en pleine transformation industrielle. C’est tout un ancien monde oublié qui se met à revivre, et l’on voit là toute la force, tout le génie d’un vieux pays cherchant toujours à exprimer, et améliorer, ses sensations artistiques. C’est ainsi qu’une société progresse et arrive un jour à imposer sa civilisation à l’ensemble d’un monde qui cherche toujours sa voie vers une idée du beau, de la justice et de la joie de vivre. Et cet idéal, c’était bien celui de Mérimée, car il était bien conscient, cela se voit dans ses écrits, que
l’histoire du monde s’inscrit dans cette longue suite de rêves, d’efforts et d’analyses, peut-être généreuses, et souvent tragiques.
L’exposition se déroule dans les grands appartements du château de Compiègne. La présentation des œuvres, documents et objets exposés est organisée selon sept thèmes :
- Les origines familiales de Mérimée
- Son intérêt pour l’Antiquité classique et l’archéologie.
- L’inspecteur des Monuments Historiques
- Le cercle amical : peintres et écrivains
- L’homme de lettres
- Carmen
- L’homme officiel : courtisan, académicien, sénateur.
Mérimée à Compiègne - Mérimée et l’art de son temps : les Salons de 1839
et 1853. Le système des Beaux-Arts
REPÈRES
MUSÉE NATIONAL DU CHÂTEAU DE COMPIÈGNE. Place du Général de Gaulle, 60 200 Compiègne
Exposition du 15 décembre 2023 au 18 mars 2024 : Prosper Mérimée ( 1803 – 1870 )