Autant en emporte le vent

Tu es Pierre, et sur cette pierre je construirai mon église. Par ce jeu de mots, Jésus lançait une nouvelle vision de l’Empire romain, fondée sur les mystérieuses cathédrales, les jolies églises de village et les messes dominicales qui allaient façonner le lien entre la politique, les peuples et les forces surnaturelles du monde. Il montrait aussi que, dans sa pensée, le patrimoine matériel et le patrimoine immatériel étaient indissolublement liés. On n’a pas besoin d’avoir l’esprit religieux pour admirer les ruines d’un vieux prieuré, les poèmes musicaux de Jean-Sébastien Bach ou le phrasé du Notre Père de Rimsky Korsakov.
Dans ce numéro de La Revue de L’Histoire, nous vous présentons quelques chefs-d’œuvre de l’âme humaine, de la conscience des choses et du souffle de l’invisible. De l’Apocalypse et de ses magnifiques présentations au travail des forges de la Haute-Marne, il est question de la transformation de la matière et de la société, de rêves inachevés d’ingénieurs ou d’artistes, de regards différents sur le monde occidental qui nous entoure et qui est en train de vivre une
évolution dont on ne peut pas deviner la suite.
L’Histoire est l’analyse de l’inconnu en partant de connaissances que l’on estime avoir assimilées. Mais si l’on contemple un chef-d’œuvre pris au hasard parmi tant d’autres – parce que nous vivons entourés de chefs-d’œuvre et de leurs messages – on se rend compte à quel point une civilisation peut être fragile, appelée à disparaître si l’on n’y prend pas garde. Toutes les opérations de sauvegarde du patrimoine sont des œuvres profondément humaines, qui regardent encore plus le devenir des générations futures que l’histoire simple du passé. Ce qui caractérise l’espèce humaine, c’est homo faber, l’homme qui façonne, qui utilise des outils, qui établit des plans de construction de quelque chose. On peut dire qu’il bâtit des temples et des maisons pour se rassurer, pour se prouver qu’il existe, mais c’est aussi parce qu’il a froid ou qu’il ne veut pas être mouillé par la pluie. De toute façon, la question n’est pas là. C’est pour lui une question de survie, d’instinct, de patrimoine génétique. Et si le nombre d’or existe, si Vitruve a fixé des règles dont on n’arrive pas à sortir, si l’or vaut plus cher que l’argent, et si le sang de Saint Janvier se liquéfie, une seule chose commune apparaît : l’infini peut se trouver dans un meuble, un vase, un tableau, un gardien de musée, un château de guerre ou de paix, un paysage non défiguré par une dérive trop utilitaire. Le sens de la vision artistique est ce qui reste de nous lorsque nous ne sommes plus et qu’un touriste vient se promener sur nos vestiges accumulés, comme le souffle du vent qui passe et reconstruit un peu plus loin, ou sur le même lieu, ce que l’on appelle l’Histoire, avec un grand H ou un petit h, peu importe.
Matthieu Delaygue