Le bureau des nouvelles légendes
Un jour, à Rome, l’empereur Marc-Aurèle partit se délasser aux Bains publics. Après être passé au sauna, il se dirigea vers la salle de repos où il vit un de ses anciens soldats qui se frottait le dos contre un mur. Il lui en demanda la raison. Gêné, le vieux brave lui dit ne pas être assez riche pour se payer un serviteur qui le frictionnerait après le bain. Marc-Aurèle en fut ému. Et aussitôt, il offrit de l’argent et un esclave au vieil homme. L’histoire fit le tour de Rome. Nul ne vit en cette générosité de la démagogie. L’empereur n’avait pas besoin de cultiver son image de prince bienveillant. Tout le monde le savait. Marc-Aurèle était comme cela : le cœur sur la main. Quelques temps plus tard il revint aux thermes. Aussitôt, dans la même salle où il avait rencontré le vétéran, une dizaine de Romains se mirent à se frotter le dos contre le mur. Non par dérision. Ils espéraient simplement que l’empereur allait leur donner numéraire et personnel servile en n’écoutant que ses bons sentiments. En effet, Marc-Aurèle engagea la discussion, et cela ne manqua pas : ses interlocuteurs lui dirent qu’ils étaient pauvres, qu’il était généreux et riche, et que… ils étaient obligés de se gratter le dos contre les murs… Marc-Aurèle leur répondit alors : « J’ai la solution à votre problème. Grattez-vous le dos les uns les autres ». Cette histoire est parait-il authentique. Elle nous montre en tout cas la véritable force des Romains : leur capacité à rester simples et à l’écoute, d’un bout à l’autre de la hiérarchie sociale. Un empereur était avant tout un citoyen, un prêtre initié, partageant ses symboles avec son peuple afin de lui donner une cohérence et une âme. Il y avait un temps pour les cérémonies et les rituels, un autre temps pour les discussions, les amitiés franches, les désirs de rencontrer l’autre et de le réconforter si le besoin s’en faisait sentir. L’injustice et la cruauté existaient, certes, mais elles étaient tempérées par des circuits courts de communication permettant à chaque citoyen de se sentir responsable et protégé par les règles établies du droit. Les meilleurs hommes politiques de Rome avaient ainsi un sens profond du dialogue. Plus ils furent conquérants et bâtisseurs, plus ils se confiaient, écoutaient, et se trouvaient capables de modifier leurs raisonnements en fonction de la qualité des informations reçues.Notre 21e siècle a cru arriver à une amélioration parfaite de la communication mondiale.World is beautiful, world is a village. Notre actualité, marquée par le signe de l’épidémie, vient de prouver les limites de ses capacités d’échange. À l’épreuve des faits, c’est tout notre système relationnel qui est à revoir dans un monde désormais estampillé par les aléas. Cela nous mènera probablement à reforger nos diverses cultures et nos différents droits, puisque le cadre de nos actions essentielles est intrinsèquement lié à des principes politiques et juridiques.
Notre univers est ainsi bel et bien confronté à un virus nous obligeant à bâtir de nouveaux programmes informatiques, de nouveaux types de langages et discours, avec de nouvelles méthodes et outils de communications. Corona veut dire couronne. Et c’est un nouveau royaume qu’il faut repenser, tel un empereur romain inspiré des Stoïciens et de son expérience du pouvoir.La philosophie de notre société va être désormais : Avancer, ne pas savoir où l’on va, avancer… world is a village in wars. La France, l’Europe, entament une nouvelle phase de vie parce que, justement, la vie est en danger. Dans ce nouvel état des lieux, les décisions stratégiques vont être capitales. Elles gagneraient à comporter des visions à la de Gaulle en juin 1940, des coups de chance à la Jeanne d’Arc, des coups de maître à la Sully. Ce furent des méthodes visant à l’essentiel, comme le fit l’architecture perçue par Auguste Perret. Elles respectèrent les grandes règles classiques des aristocratiques châteaux et celles des traditions populaires, tout en les réinventant comme des armes nouvelles. C’est à ce prix que l’on bâtit une civilisation face à l’inconnu et la destruction de toute chose.
Matthieu Delaygue