Les Émigrants CH.E.Jadin (détail), Musée des beaux-arts, ville de Bernay / Jean-Pierre Copitet

Identità

Nous vous emportons dans ce numéro sur les rivages de l’indicible : Le sentiment historique. Celui d’appartenir à un groupe qui a construit un pays, une nation, un peuple, une suite d’épopées, de drames et de bonheurs de bien vivre. Tolstoï dans Guerre et Paix explique cette volonté de bien faire, fondée sur l’équilibre des choses et le désir de paix.
Mais la guerre revient toujours, elle est le lot de l’humanité. Elle a toujours lieu quelque part. Elle vient d’une suite d’erreurs, d’ambitions qui ne peuvent se réaliser autrement. Et toujours, les femmes et les hommes reconstruisent sur les décombres cette identité que les Corses appellent identità. Elle dépasse même la notion d’identité, elle regroupe à la fois l’esprit d’ouverture et celui de fermeture, elle parcourt les océans, elle repart plus loin, elle se recrée, jamais morte.
La France fête cette année le Centenaire de la fin de la Grande Guerre. Deux identités s’affrontaient. Avec des moyens inouïs. Sans grande considération pour le gigantesque sacrifice humain que cela impliquait. De nos jours, on commence à parler de guerre civile entre nos voisins les Allemands et nous les Français.
Cette identità, on ne peut la nier, on ne peut la condamner. C’est comme se condamner soi-même, qui que l’on soit. Le grand rêve de Trotsky reposait sur une identité mondiale, et il ne sut qu’organiser des massacres et animer une guerre
civile. Parce que son erreur, tout comme ceux qui ont cru à la fin de l’Histoire, c’est de ne pas avoir vu que l’identité repose sur le peuple encore plus que sur les dirigeants politiques de ce peuple. Elle est une forme de repère intuitif, elle est indéracinable, tout comme notre sentiment de l’absolu ou de l’amitié. Un bel exemple de ce besoin d’identité, et il y en a des milliers, des millions un peu partout dans le monde, se retrouve dans l’aventure qu’ont décidé de mener un groupe d’amis. Dans le Sud-Ouest de la France, près de Bordeaux, ils ont créé deux associations : Culture et Tourisme en Pays Clémentin, et Les Amis du Musée de Villandraut. Ils sont partis de rien. Ils ont fouillé les archives. Ils sont allés voir des aristocrates de la région. Et ils exposent maintenant, régulièrement des blasons et leur histoire et leur explication. Tous seuls, au départ, ils ont retrouvé les joies héraldiques. Ils ont reconstitué un passé qui enchante avec grand succès les différentes générations, les touristes, français et étrangers.
C’est ainsi que l’histoire se conserve, vit sa vie, sa grande vie : Celle de modèle, avec du rêve et de la réalité, de la complexité et de la grande simplicité. Cette Histoire elle a un cœur, un esprit, un raisonnement. Elle recherche et elle trouve. Elle ne demande rien d’autre. Elle donne peut-être un des messages les plus pacifiques au monde, celui de retrouver son passé, comprendre d’où l’on vient pour réfléchir où l’on va.
C’est ainsi que Tolstoï voyait l’avenir de l’humanité qu’il espérait joyeuse et en paix. Il voulait qu’elle ait une conscience, et cela impliquait une conscience historique.

Matthieu Delaygue