Tristes épilogues sur une guerre regrettable
Lorsque c’était l’heure de l’assaut, tout était possible : le courage de certains, les crises de nerfs d’autres qui craquaient. Tout se passait en quelques secondes. Les gradés ne perdaient pas de temps en discussion philosophique. Ils cognaient. Très fort, car le terrorisé était engoncé dans son uniforme. On ne pouvait le frapper que sur le visage, et il ne s’agissait pas d’une tape amicale. Dans l’attaque, il fallait veiller à ce qu’il n’y en ait pas qui s’arrêtent, jouant les blessés, ou les bons camarades secourant un vrai blessé. Il y avait une règle. Laisser tomber le type qui hurlait. Et courir toujours en avant. Si l’on arrivait dans la tranchée allemande, on ne faisait pas de cadeau, non plus. On tuait tout de suite. À coups de pelle, en balançant des grenades, au couteau… Le soldat ennemi qui levait les bras en l’air en criant Kamerad, on le zabralisait aussi. Et si par hasard, on l’épargnait, on lui faisait la tête au carré.
Ensuite, des sergents repartaient en arrière. Ils allaient chercher ceux qui s’étaient arrêtés en cours de route, et qui se terraient dans les trous d’obus ou les broussailles… On ne leur tenait pas un discours de compassion. Si l’on se réfère à des souvenirs écrits par des officiers, on pouvait compter un soldat sur trois qui s’était planqué d’une façon ou d’une autre.* Un bon chef, c’était celui qui fermait les yeux sur une défaillance passagère. Et qui, en revanche, faisait évacuer ailleurs, souvent dans un groupe disciplinaire, ceux qui avaient peur en continu. Ils constituaient un danger car leurs camarades ne pouvaient pas compter sur eux en cas de corps à corps.
La Guerre de 14, comme toutes les guerres, c’était une affaire de braves. Roger Vercel décrit cette ambiance de peur chez certains et d’héroïsme chez d’autres dans son très beau roman : Le capitaine Conan. On voit que c’est du vécu. Cet excellent écrivain avait connu tout cela comme officier durant la Grande Guerre. La Guerre de 14, ce fut aussi les révoltes de soldats en 1917. Des régiments commençaient à marcher sur Paris, les mitrailleuses armées sur des camions prêts à partir. Sur ce sujet, des archives militaires sont encore interdites d’accès. Parce qu’il y eut beaucoup d’exécution sommaires, secrètes, de soldats soupçonnés être affiliés aux mouvements révolutionnaires.
C’est cela, aussi, les affrontements de 14. Une tuerie générale, une révolution programmée étouffée dans l’œuf, des secrets toujours bloqués. Et une victoire gagnée par l’héroïsme de certains, dont la plupart sont morts. Le sport de la savate disparut en France. Alors qu’il y avait plus de 10 000 adhérents en 1914, il en restait quelques centaines en 1918. Ces sportifs accomplis, bagarreurs dans l’âme, étaient presque tous morts, ou mutilés.
Matthieu Delaygue
*Ce n’était pas le cas dans les régiments d’engagés ou de volontaires.