Minuit au nom de l’art
Notre mémoire est collective. Nous avons tous à peu près les mêmes codes, les mêmes structures de pensée, issus du même type d’éducation. Après, peuvent apparaître des différences. Sur les analyses, les sentiments, le genre de vie. Mais l’essentiel est là. Dans cette suite de points communs qui crée la civilisation. Il n’y a qu’une seule façon d’aller sur la Lune ou de cultiver son jardin. Le musée est la représentation directe de cette mémoire collective, si importante en Histoire. Les musées sont de véritables temples. Comme eux, ils jouent sur différents espaces du temps, sur des ouvertures et des sélections, sur des trésors cachés, sur une sorte d’alliance entre les morts et les vivants, entre les ennemis et les proches, entre la distance et la volonté de rapprochement. Ils ne sont pas de simples endroits. Ils sont des lieux vivants. Ils racontent une Histoire, ils retrouvent ce qui a été perdu, ils ont une vision, une volonté de transmettre. Tout cela est la définition même de la vie cellulaire et biologique. De la Grande Guerre de 1914, il reste les livres et les films. Et ces musées qui montrent comment certaines choses se sont passées. Mais l’Iliade serait-elle l’Iliade, si l’on n’avait pas retrouvé Troie et le masque d’Agamemnon ? Il resterait une légende dont on douterait de la vérité. Un musée est-il objectif ? Un musée a-t-il des objectifs!? Un musée doit-il être forcément beau ? Je ne sais pas si l’on peut trouver forcément jolies les baïonnettes que l’on s’enfonçait dans le ventre voici un siècle. Une fois qu’on avait réussi à embrocher son adversaire, il fallait appuyer de son pied, de toute sa force, sur l’estomac du vaincu qui était logiquement tombé à terre. Afin de dégager son fusil et pouvoir ouvrir un autre ventre. Mais, esthétiquement, en toute objectivité, une baïonnette est un bel objet à la forme élégante qui portait le doux surnom de Rosalie. L’Histoire, comme tous les arts, y compris celui de la guerre, repose sur l’idée du Beau. Beauté de l’idéal, de la nécessité de la politique, de la civilisation qu’il faut affirmer, défendre, aimer. Beauté du défilé militaire et de l’uniforme. Beauté de l’être dans toute sa splendeur nue, dans toute son âme et son esprit, parce qu’il touche au sublime, à la force imaginaire qui entre dans la légende. Beauté de tous ces tableaux et sculptures, objets d’art venus de la nuit inspirée du créateur. Beauté des corps et des regards profonds qui cherchent la lumière du jour. Beauté du désir de ces mêmes corps et de ces mêmes âmes. Il peut y avoir des âmes vilaines et nuisibles. Il ne peut pas y avoir de musées vilains ou nuisibles. Parce que la recherche de la vérité est la recherche d’un absolu, et celui-ci, on ne peut jamais le voir dans son entier tant que l’on est vivant. Ce qui est beau dans un musée, c’est ce qui est beau dans la vie, et dans l’Histoire de nos vies. Minuit peut sonner ses douze coups pour faire apparaître ses mauvais fantômes, le Bien aussitôt apparaît et donne cette œuvre d’art que furent le livre et le fi lm Minuit dans le jardin du Bien et du Mal. Le succès en fut tel que la ville de Savannah où se déroule l’action devint la plus visitée de toute l’Amérique. Une histoire racontée avait créé un tourisme d’un genre nouveau, la ville elle-même était devenue un musée. Emblème d’une civilisation. Le mois de Novembre est celui de la Toussaint et de nos morts. Il s’agit de notre Patrie, de notre Patrimoine, de nos œuvres d’artistes pour cristalliser tous ces efforts, toute cette pluie intérieure qui constitue notre corps et les ondes qui l’entourent. Elles donnent son vrai sens à l’Histoire. Nous avons sélectionné une quinzaine de musées. Nous faisons un parcours. Pour regarder notre vie et la comprendre. La comprendre à nouveau. Parce qu’il s’agit toujours d’une histoire de réintégration. De saisir toutes ces forces qui ont existé avant et autour de nous. Elles ont constitué une sorte d’œuvre, la seule peut-être qui restera, dans quelques millénaires, de toutes nos actions sur cette Terre.
Matthieu Delaygue