La Via Alta est un réseau de routes qui traversent les Alpes italienne et française. le Piémont et les Hautes Alpes se révèlent à la lumière de magnifiques perspectives. des parcs naturels, des arrêts dans de jolies auberges, des vues romantiques sur des montagnes et des vallées qui semnlent sortir d’un voyage hors du temps. On dirait des toiles de maîtres. Parcs naturels, églises romanes, air pur et vivifiant…Nous sommesavec les promenades de Rousseau et de sa nouvelle Héloïse lorsque, rêveur solitaire, il entrait en osmose avec la nature de cette région.
De Vercelli jusqu’à Arles… Et puis jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle. Le pèlerinage initiatique peut même commencer à Rome. Il faut traverser les Alpes et les Pyrénées. Pour un véritable cheminement spirituel mené à partir de la nature. Rome et Compostelle sont comme deux piliers de porte, où l’esprit et le corps se révèlent, où le cerveau emmagasine des images magnifiques, cours d’eau profondément bleus au fond d’une vallée profondément verte, arbre frémissant sous un vent léger, comme pour nous saluer, vol d’un oiseau qui semble saluer un autre oiseau et qui disparaît dans le lointain du ciel … À Vercelli se trouve la basilique San’Andrea. Elle a été achevée en 1227. C’est un pur joyau roman, malgré de fortes impressions du gothique cistercien. Elle est élancée vers le ciel avec une grande finesse des arcs, et une pierre blanche sur le sol. Le blanc prédomine, les arcs des voûtes sont plutôt de couleur rouge, comme une force qui soutient… Rien n’est exagéré en ces lieux.Et l’aspect extérieur renvoie aussi à cette simplicité. Le but est la foi. La religion. Exprimées par des choses très belles et simples. Cette sobriété prépare au long voyage. Vercelli est une ville du Piémont d’un peu moins de 50 000 habitants. C’est dans cette plaine que Marius écrasa les Cimbres, en 101 avant J.C. Et que Flavius Stilicon anéantit les Goths cinq siècles plus tard. De nombreux vestiges restent de l’époque romaine: un hippodrome amphithéâtre, de nombreuses inscriptions dont certaines sont chrétiennes. Vercelli est la capitale du riz italien. Et son Université date de 1228.
Environ à 20 kms de Turin, l’abbaye de Sacra di San Michele, à Sant’Ambrogio di Torino, est un chef-d’œuvre de la spiritualité bénédictine. C’est une masse de pierre dans ce décor à la fois tourmenté et paisible. Elle représente bien la foi moyenâgeuse, où l’harmonie était cherchée avec une exigence parfois douloureuse. Ce décor est celui du livre et du film Le nom de la Rose. Elle ouvre sur toute une métaphysique de l’affirmation de la réalité et de la négation des besoins. Elle héberge depuis toujours ceux qui frappent à sa porte. Et l’on peut passer ainsi une nuit dans une cellule monacale. Près du Mont Cenis, se trouve l’abbaye de Novalesa. Son village médiéval est empreint de charme. L’abbaye a été fondée en 726. Ses décors anciens sont très sobres, et d’une beauté issue de cette simplicité même. Le paysage est ciselé par des cascades, des cours d’eau … Tout est très calme. Du côté français, dans les Hautes- Alpes, la ViergeM arie est apparue plusieurs fois à Benoîte Rencurel qui était une bergère. l’Église catholique a reconnu officiellement ces manifestations surnaturelles, et Benoîte Rencurel a été reconnue vénérable par le pape Benoît XVI en l’année 2009. C’est la Vierge qui a demandé à Benoite de chercher au Laus une petite chapelle où flottaient de suaves odeurs. En effet, Benoîte découvrira bel et bien les ruines d’un petit oratoire. La Vierge Marie annonça ensuite qu’une grande église sera bâtie en ce lieu, et qu’elle servira à convertir les pêcheurs. Durant 53 années, Benoîte aura des apparitions de Marie. Des miracles furent accomplis. Un séminaire sera construit en 1679. l’écrivain Jean Guitton a dit de Benoîte Rencurel qu’elle était un des ressort les plus cachés et les plus puissants d’Europe. Monseigneur di Falco, évêque de Gap et d’Embrun, a reconnu officiellement le caractère surnaturel des apparitions. Ce sont les premières apparitions reconnues après celles de Lourdes voici près d’un siècle et demi.
En fin de compte, l’Histoire importe-t-elle dans un tel voyage et devant de tels lieux? Ce n’est pas une question de croyance en Dieu, de pratique de tel ou tel rituel … Mais elle devient pas grand-chose face à la beauté des montagnes. Ce ne sont plus pas non plus des lieux où l’on peut être confusionniste et s’en tirer avec une philosophie émotionnelle spécial vacances … Les paysages sont là. Ils constituent un langage et celui-ci prépare au silence des églises, à la pureté des lignes des monastères qui certainement ont eu leur architecture choisie en fonction des lignes de paysage qui se dessinent en osmose. Rien ne choque, tout semble se coordonner, et l’effort que l’on fait en se promenant, dans ces terres de montagne, mène à cet état de bonheur que Jean-Jacques Rousseau a su décrire ses voyages dans les Alpes. Il s’était rendu compte que la couleur d’un ciel ou d’un arbre éveille en lui des correspondances profondes avec le visible et le non visible, et ce non visible existe peut-être, même si l’on part du principe des Lumières que Dieu n’existe peut-être pas.
L’abbaye de Boscodon donne l’impression de chercher à établir un lien tellurique avec le sol, comme pour le tenir et canaliser son énergie. Elle fut la principale maison de l’ordre de Chalais qui fut important dans la Provence et le Dauphiné. Elle fut ensuite bénédictine. Puis monastère dominicain. Toujours dans les Hautes-Alpes, à Embrun, la cathédrale Notre-Dame du Réal est toute en hauteur, toute gothique, même si l’influence romane et lombarde reste certaine.Les pierres de son intérieur sont blanches et noires. l’évêché a été fondé par Marcellin. Le porche du Réal est de style lombard. On ne peut s’empêcher de rêver sur ce terme de Réal, traduit souvent par Les Rois mages. Mais Réal veut simplement dire royal, comme le Christ roi. San real, veut dire sang du Christ, ou Saint Graal, dans la tradition ésotérique du chevalier à la Rose, reprise par Wagner. Cela veut dire sang royal, au singulier, qui se traduit en ésotérisme chevaleresque par Saint Graal.Les grandes orgues ont été offertes par Louis XI, et le musée d’art sacré détient une vaste collection de vêtements sacerdotaux et d’ornements liturgiques. Le chef de l’État français peut recevoir le titre, s’il se déplace sur les lieux, de proto-chanoine de la cathédrale. Le dernier à être venu pour être honoré de ce titre est le général de Gaulle.
L’abbaye de Senanque est située dans le vallon de Gordes où coule la Sénancole. Elle est encore occupée de nos jours par des moines cisterciens. Elle a été fondée en 1148 par des moines venus de l’Ardèche. Comme la plupart des abbayes sous l’Ancien régime, elle périclite à partir de la fin du Moyen-âge, ses moines se font massacrer par les Vaudois, et à la veille de la Révolution, elle ne compte presque plus de religieux. On peut d’ailleurs se poser la question du déclin des ordres monastiques sur cette période. La montée en puissance du protestantisme a enlevé bien des chrétiens à leur vocation monastique. Les conversions à cette religion d’une grande partie des élites intellectuelles de la France apparaît ainsi probable. Le mode de vie protestant n’était pas sans rappeler les règles d’ascèse.
La politique outrancière de donner des abbayes à des favoris de la cour, ou de les monnayer, fut mise en place de façon systématique par François 1er. Il en résulta un désengagement de nombreux catholiques cherchant une foi sans concession, et donc moins mercantile. Le monastère sera vendu comme bien national à la Révolution, puis racheté par l’abbé de Lérins en 1857, les moines revinrent, avant d’être chassés en 1903 par les lois sur les congrégations religieuses. Quelques moines se réinstalleront à Sénanque en 1926. La communauté s’éteindra une nouvelle fois en 1969. La société Berliet signera alors un bail de 30 ans pour y installer un centre culturel, à charge pour elle d’entretenir les bâtiments et d’aider à maintenir le culte. Depuis, une dizaine de moines y ont repris la tradition cistercienne. Les conditions de vie sont celles de la stricte règle de Saint Bernard de Cîteaux. Très peu de confort, beaucoup d’activités, seulement sept heures de repos. Silence et recueillement. .. Et le paysage est tellement beau, lumineux, que l’on voit les liens indissolubles entre la simplicité et l’esthétisme. C’est toute une école de vie qui rejoint la morale religieuse. Le retour est sur soi-même pour mieux comprendre le monde par le haut de la solitude et de son silence.
A l’abbaye Notre Dame de Ganagobie, dans les Alpes de Haute-Provence, les décors de mosaïque de l’église sont d’inspiration carolingienne et byzantine. Ils datent du XIIe siècle. On y voit des lions, des griffons, des éléphants, avec autour des entrelacs et la représentation du poisson, signe du Christ* et de l’ère astrologique du même nom. Comme dans presque toutes les églises, la symbolique de celle-ci n’évacue pas la question du bien et du mal, ni celle du passage de l’homme à un animal fabuleux. Puisque l’ésotérisme catholique puise ses racines dans la mythologie de l’Égypte antique, du temps d’Isis et Osiris. C’est à partir de ces traditions que se sont développées les bases de l’alchimie, si importante au Moyen-âge. Les rituels de messe étaient ainsi bien plus complexes qu’une simple négation du paganisme. Cette pensée mystère se ressent en ces murs de l’église abbatiale. La bibliothèque du monastère possède près de 100 000 livres. Dont 8 000 datent du temps de la Monarchie depuis le Moyen-âge. L’esprit et la lecture, la beauté des pierres travaillées servent selon la règle monastique à édifier sur terre la vérité divine. Et tout autour, ce sont les bois de chênes verts. Les allées mènent à des vues superbes où l’on domine la vallée de la Durance et le bassin de Forcalquier.
Que serait Avignon sans le Palais des Papes ? Mais que serait celui-ci s’il n’y avait pas Avignon? Cette très vaste construction gothique est une des plus grandes de son époque. Elle fut le centre de la chrétienté occidentale au XIV° siècle. Elle nous rappelle les rapports de force de la monarchie avec le pouvoir catholique. Tout comme les forteresses de Vauban, telles Briançon et Mont-Dauphin dans les Hautes-Alpes, qui nous le disent: l’Histoire est la fusion intime de la morale, de la guerre et de l’art, dans un monde naturel qui nous dépasse. Entre la première Rome et la deuxième, Saint Jacques de Compostelle, les chemins de la Via Alta nous permettent de poursuivre le rêve de l’éveil.
*χριστός en grec signifie poisson et en abrégé Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. Le baptême est aussi en lien avec l’eau, lieu de vie du poisson, dont l’ère est reconnue astrologiquement du 1er au XXle siècle qui commence l’ère du Verseau.
La Revue de l’Histoire N° 69 Été 2013
REPÈRES
« La Via Alta est une invitation à la découverte culturelle de l’Europe, le long d’un itinéraire qui a façonné au fil des siècles l’histoire de l’Europe à travers les Alpes. » Voir le site : https://www.viefrancigene.org/fr/resource/tour/via-alta-verso-roma/